miercuri, 15 august 2012

L'Usurpation d'identité









                                       L’Usurpation d’identité



Depuis sa sortie en 1982, le film Le Retour de Martin Guerre ne cesse de hanter l’esprit des spectateurs. Son réalisateur, Daniel Vigne, promet “une pure et vraie histoire” qui “commença par un dimanche doux”, en1542, à Artigat, dans le comté de Foix, au temps de François I-er.
Aimes-tu les films historiques, cher lecteur?
Moi, j’en raffole.
Tu seras gagné dès le début par les décors (Alain Nègre) et la photographie (André Neau) inspirés par les Bruegel et les frères Le Nain.
Ce qui me plaît dans un film historique est le récit qui est vrai et animé par des personnages exprimant une individualité et des passions débridées, renfermées dans un cadre historique rigoureux, marqué par des événements bien datés, plus ou moins prévisibles, et travaillées par des mentalités allant à l’encontre des psychologies individuelles, pour forger ainsi une psychologie collective. C’est tout un monde qui renaît sous nos yeux curieux, dévorants et émerveillés.
Ce film est une adaptation du roman de Natalie Zemon Davis – historienne américaine, spécialiste de l’histoire sociale et culturelle de la France des XVI-è et XVII-è siècles. En tant qu’historienne, elle s’est inspirée d’un récit écrit au XVI-è siècle par un grand jurisconsulte, professeur de droit à Toulouse, humaniste et traducteur de Pic de la Mirandole – Jean de Coras – qui sera personnage dans ce film. Ce magistrat, admirablement incarné par Roger Planchon, essaie de deviner les mobiles psychologiques des actions et des silences humains et pense qu’ “il vaudra mieux pardonner à un coupable que d’accuser un innocent.”
Nous reconnaissons là la philosophie humaniste de la Renaissance, infiniment différente de la conception médiévale. Dans ce film, Moyen Age et Renaissance s’entrecroisent et tantôt l’un, tantôt l’autre arrive à dominer la scène et à imposer ses règles et son profil.
Le scénario du film est signé par Jean-Claude Carrière - historien de formation (encore un historien), dramaturge et scénariste, qui a travaillé pour le cinéma avec Luis Buñuel, Louis Malle, Miloš Forman et pour le théâtre avec Peter Brook – et par Daniel Vigne.
En 1983, à la cérémonie des prix César, ce film a eu le César du meilleur scénario, du meilleur décor (Alain Nègre) et de la meilleure musique (Michel Portal).
Lors du tournage de ce film Daniel Vigne n’était pas à sa dernière aventure historique. Il y reviendra en 2002 avec L’Enfant des Lumières, un feuilleton TV, toujours avec Nathalie Baye dans le rôle principal, et en 2006 avec Jean de La Fontaine.
A propos du Retour de Martin Guerre, nous voulons signaler un remake aussi: le film américain Sommersby (1993) de Jon Amiel, avec Richard Gere et Jodie Foster, où Jack Sommersby revient dans son village natal après la Guerre de Sécession.
Mais dans notre film à nous, le Français Martin Guerre est le fils de Mathurin et de Brigitte qui ont eu cinq enfants: Martin et quatre filles. Ils sont aisés et exploitent un domaine assez grand. Martin sera le riche héritier de cette famille, mais sa situation est plus difficile qu’on ne l’aurait cru: étant le seul garçon de la famille, il est le seul à pouvoir assurer une descendance. La famille ne pouvait pas compter sur d’autres frères. Aussi est-il marié si vite, à un âge assez tendre, pour que l’affaire soit résolue sans faute. Sa promise, belle et jeune, descend, normalement, d’une famille aisée – les mariages étaient presque toutes les fois arrangés – et, comme toutes les filles, elle était sexuellement plus précoce que lui. Le pauvre garçon, pour surcroît de malheur, a eu un père très autoritaire (“Tant que je suis vivant, ici c’est moi le maître!”), ce qui l’a presque émasculé. Voilà pourquoi, à l’église, lorsque la mariée prononce la phrase fameuse “Moi, Bertrande, donne mon cœur à toi, Martin” et ce dernier répond, selon la coutume, “Je le reçois”, il n’a pas l’air de s’apercevoir de ce qu’il reçoit. Et quand le curé Dominique (André Chaumeau), en bénissant leur lit, lui fait savoir, en plaisantant, que “les jardinets s’arrosent la nuit”, il n’est que gêné. Et les nuits passent et Martin ne parvient toujours pas à dépuceler sa femme.
L’action du film se déroule sur deux plans: l’un, linéaire et un autre, remémoratif, reconstitué grâce à la mémoire de Bertrande de Rols (Nathalie Baye) qui est interrogée par les juges de Toulouse sur l’imposture d’Arnaud du Tilh (Gérard Depardieu), qui s’était fait passer pour Martin Guerre (Bernard-Pierre Donnadieu), son époux, vu leur ressemblance étonnante. Et l’un des juges constate que “ta mère voulait que le mariage fût rompu.” Mais Bertrande craint de rompre avec Martin, elle veut garder par-dessus tout sa condition de femme mariée. On fait appel alors à Jacquemotte (Neige Dolsky), la magicienne aveugle, pour traîter Martin de ce qu’on appelait à l’époque “le nouement de l’aiguillette”, mais le maléfice semble perdurer. Dans son livre La Peur en Occident (XIV-è – XVIII-è siècles) (1978), Jean Delumeau nous renseigne que surtout au XVI-è et XVII-è siècles, au Sud de la France, il y avait une vraie psychose collective du nouement de l’aiguillette, que beaucoup de gens étaient tellement effrayés par ce maléfice qu’ils évitaient de célébrer publiquement leur mariage à l’église et qu’ils allaient en catimini chez le curé du village voisin recevoir la bénédiction nuptiale. Même les curés partageaient cette psychose. Les nôtres – Bertrande et Martin – se sont mariés publiquement à l’église, mais maintenant tout le monde craint le nouement de l’aiguillette, même si le maléfice n’est pas nommé dans le film. A un moment donné y intervient même le curé du village qui leur applique un rituel que vous trouverez décrit en détail dans le livre de Delumeau, au chapitre intitulé Aujourd’hui et demain; maléfices et divination. C’est un rituel envisagé par Jean-Baptiste Thiers, fameux théologien et ecclésiastique du XVII-è siècle, et cité par Delumeau.
Donc, comment combattre ce maléfice?
On nous dit dans le livre que le curé attachait les deux époux à un pilier de sa grange, face à face, le pilier entre eux, et qu’il se prenait à les fustiger à coups de verges, à maintes reprises. Puis il les détachait, tout en leur donnant un morceau de pain et un pot de vin. Le lendemain, le curé constatait que ce rituel avait porté des fruits.
Tout ce que décrit J.-B. Thiers dans le livre de Delumeau vous avez pu voir dans le film de Vigne, y compris le conseil adressé par le curé aux deux époux: “Mettez-vous tous les soirs possibles à la chose!”
Et les deux “se sont mis à la chose”. Le résultat?
Bertrande a accouché d’un beau garçon et elle est maintenant une femme mariée assez contente de sa vie. Seul Martin est triste; il se sent incompris et toul le temps humilié. Il ne peut pas oublier ce qui s’est passé lors de la Chandeleur, quand il a servi de tête de Turc et les jeunes du village ont plaisanté sous les fenêtres de sa maison: “Bertrande, si tu ne peux pas dormir la nuit, change de mari!” De surcroît, son père l’humilie et le frappe devant les domestiques et Martin n’en peut plus et s’en va. Il va faire la guerre, en soldat, sous les drapeaux de n’importe qui. Son père mourra de chagrin quelques années plus tard et sa mère un an après. Bertrande va l’attendre “huit ou neuf hivers” jusqu’au jour où quelqu’un disant être Martin Guerre se présente à Artigat et tout le village le reconnaît comme tel et se réjouit de le revoir. Quant à lui, il reconnaît lui aussi presque tous les villageois.
Cela dit, si vous lisez/voyez ce film à un seul niveau, vous n’allez encore rien voir. Je vous propose une lecture à plusieurs niveaux, où les sens vont s’entrecroiser et se compléter mutuellement. Allons-y, donc!

I.                   Le Jeu des Personnages

Quelqu’un qui dit être Martin Guerre est de retour à Artigat.

Les parents, eux, ils sont tous contents d’avoir un homme de plus dans la famille. Parce qu’après le départ précipité de Martin et la mort de Mathurin, son père, la famille ne comprenait que des femmes et des enfants et était donc “en danger de ne pouvoir exploiter le domaine”, comme fait valoir Nicole Lemaître, qui, en tant qu’ historienne de la Renaissance, s’est penchée amoureusement sur les sources historiques de ce beau film. Voilà pourquoi Pierre Guerre (Maurice Barrier), le frère de Mathurin et l’oncle de Martin, se marie avec Raymonde de Rols (Rose Thiéry), la mère de Bertrande “pour assurer cette gestion et éviter la dilapidation des biens.” (N. Lemaître) D’ailleurs, aux noces de Martin et de Bertrande, Raymonde, veuve à ce moment-là, lançait des œillades désireuses à Pierre qui semblait être touché…
Aussi tous les parents reçoivent-ils bien ce prétendu Martin Guerre, en feignant de ne pas observer que celui-ci n’a pas “les lèvres pendantes” de l’autre Martin; qu’en outre il est plus costaud – “Ce que tu es devenu fort, Martin!”, s’exclame Bertrande – et plus audacieux et ils ne s’étonnent pas suffisamment qu’il sache lire et écrire. Tous les historiens des “Annales d’histoire économique et sociale” qui se penchèrent sur le Moyen Age, le XVI-è et le XVII-è siècles nous ont appris que le premier-né ou le garçon unique d’une famille n’avait aucunement besoin d’apprendre à lire et à écrire -  même les nobles écrivaient avec plein de fautes d’orthographe -  attendu qu’il devait savoir uniquement administrer le domaine qu’il héritait en entier. Pour ce qui est des frères cadets, eux, ils devaient apprendre… apprendre à lire, à écrire, à guerroyer pour réussir vraiment à se frayer un chemin dans l’administration ou dans l’armée. Les sources historiques confirment qu’Arnaud du Tilh était originaire de Tilh, en Picardie, et qu’il était le cadet d’une famille. Il est parti faire la guerre en France et en Espagne et le voici maintenant las de tout ce qu’il a fait et a vu: “L’Espagne, c’est sec... (...) Paris est grand et il y a du monde partout.” Pendant ces années de guerre, il se lie d’amitié avec Martin qui lui parle de sa famille d’Artigat qu’il avait quittée, de sa femme, Bertrande, de ses parents, de ses domestiques, de villageois. Comme il est avide d’avoir une famille et un domaine, l’imagination d’Arnaud s’enflamme et l’aide à graver tout dans sa mémoire. Déjà les Guerre sont devenus sa famille qu’il aurait aimée et protégée plus que l’autre ne l’avait  fait. Qui plus est, Martin aurait dit une fois à Arnaud qu’il ne voulait plus rentrer. Arnaud évoque cela au procès et l’autre ne le contredit pas. Quand, revenant de la guerre, il se rencontre avec des camarades qui le prennent pour Martin, sa décision est prise: il s’acheminera vers Artigat où essayera de se faire passer pour Martin Guerre.
Pierre et Raymonde, quant à eux, ils se doutèrent de prime abord qu’il n’était pas Martin Guerre. Mais Raymonde ne voulait pas gâter le bonheur de sa fille et Pierre était heureux de partager les responsabilités avec un autre homme. Et puis Arnaud, en opposition avec le vrai Martin, était communicatif, désinvolte et sympathique; les hommes l’acceptaient facilement et les femmes, elles, en étaient ravies.
Mais Bertrande? C’est une bonne question, je crois.
Elle était la première à s’apercevoir de ce qu’il était ou non le vrai Martin.
Mais Bertrande oscille entre la vérité et le mensonge et pour cause! Arnaud sait parler, faire des compliments, en plus, il est virile et ne boude pas à la besogne. Quand le juge Jean de Coras lui demande carrément: “Ton désir d’homme, il l’a satisfait? Vous vous êtes aimés?”, elle répond, non sans nostalgie: “Oui.” Bertrande est parfaitement consciente qu’elle doit à cet homme errant les meilleures années de sa vie, que son arrivée à Artigat lui a fait connaître les joies du mariage et la vraie satisfaction, que, sans lui, sa vie aurait été gâtée.
En outre, il a fait ce que l’autre, le vrai Martin, n’a pas été à même de faire: c’est Arnaud  qui a pris soin de la famille, tandis que l’autre l’a plaquée, c’est Arnaud qui a travaillé les terres, c’est Arnaud qui a élevé le fils de Martin, Sanxi, qui au procès le reconnaît et l’indique, à juste titre, comme son père, c’est Arnaud qui a rendu heureuse et qui a satisfait la femme de Martin, en lui donnant encore deux enfants.
Qui est le vrai père?
Celui qui a abandonné sa famille et revient, comme par hasard, après douze ans ou l’autre qui a voulu avoir cette famille et qui a boulonné pour l’entretenir et la voir contente?
Quand, finalement, Arnaud meurt pendu et brûlé, condamné pour imposture et usurpation d’identité, les larmes qui jaillissent des yeux de Bertrande sont des larmes d’amour, de reconnaissance et de regret: c’est tout son bonheur qui meurt avec lui. Le vrai Martin est là pour la protéger. Il semble avoir l’envie de le faire. Mais sera-t-il aussi doué que l’autre?
Mais vous me demanderez ce qui s’était passé et pourquoi ce procès.
Eh bien, après le retour de Martin Guerre qui était en fait Arnaud du Tilh, l’affaire tournait rond et tout le monde était content. La faute est à Arnaud, à sa cupidité, à son imprudence, vu sa situation d’imposteur. En bref, Arnaud demande à Pierre de lui remettre l’argent – l’argent est mauvais conseiller – pour ce que son domaine a rapporté durant les neuf années de son absence. La loi est de son côté et il peut réclamer cela. Oui, mais ce n’est pas sage. Il est normal de demander son droit, mais il n’est pas sage de réclamer l’oncle Pierre, vu que c’est cet oncle qui a pris soin, tant bien que mal, de la famille de Martin, une famille qui ne comptait que des femmes et un enfant se trouvant dans l’incapacité d’exploiter un domaine si vaste que le leur. C’est l’erreur pratique d’Arnaud qui, s’ajoutant à sa faute morale, va le perdre. C’est le commencement de la fin.
Pour surcroît de malheur, deux soldats passent par le village et indiquent le prétendu Martin comme étant Arnaud du Tilh, dit Pansette. Nicolas (Jean-Claude Perrin), un voisin, se rappelle, lui aussi, que “Martin” ne l’a pas reconnu. Arrive le cordonnier qui, par dessus le marché, avoue que la pointure de ce nouveau Martin est plus petite que la poiture de l’autre! C’est déjà trop!

C’est le moment où Pierre et Raymonde se mettent à faire la guerre à leurs proches et Raymonde n’est plus la mère de Bertrande, elle n’a plus rien d’une mère lorsqu’elle travaille contre le bonheur de sa fille.
Arnaud est accusé d’imposture. Mais, pour l’instant, il a gain de cause. Le premier procès a lieu à Rieux, où Arnaud plaide très bien sa cause et les juges condamnent Pierre à lui payer une grande somme, en dédommagement, pour l’avoir accusé à tort. Cette victoire ne dure pas.
Le lendemain, Pierre avec son fils Antoine (Dominique Pinon) et quelques villageois se ruent dans la maison d’Arnaud pourvus d’un document signé par Bertrande où celle-ci aurait affirmé que l’homme avec lequel elle vivait n’était pas Martin. Bertrande est là, elle n’avait jamais rien signé, mais elle n’ose pas contredire son oncle. Elle hésite tout le temps et oscille entre la vérité et le mensonge. Et pour cause.
Cette fois-ci, Arnaud est arrêté. Le deuxième procès aura lieu à Toulouse.

II.                Le Jeu de la Réalité et du Rêve

Bertrande a durant neuf ans attendu le retour de Martin. Celui qui arrive n’est pas Martin, c’est un imposteur, mais il est l’homme de sa vie.
Il existe un moment dans le film où Bertrande raconte à son enfant la légende de Mélusine. Il est impossible que ce moment soit gratuit.
Comme toute légende, celle de Mélusine est faite d’éléments réels et fantastiques.
La fée Mélusine fut maudite par sa mère pour avoir été trop méchante avec son père et incapable de lui pardonner. Elle la condamna à se transformer tous les samedis en serpente “au-dessous du nombril”. La fée se maria avec le comte Raymond de Lusignan (Raymondin), à condition qu’il ne tâchât jamais de la voir le samedi. Ils eurent dix enfants, tous garçons, dont le premier régna en Chypre.
Mais le frère de Raymond avança méchamment que chaque samedi Mélusine se voyait avec un autre. Piqué au vif, Raymondin se précipita à la porte interdite et vit par la serrure ce qu’il ne devait jamais voir: la femme-serpente. Il trahira plus tard ce secret, ce qui détruira leur amour: Mélusine sera condamnée à rester à jamais une femme-serpente et, comme il lui pousse des ailes, elle se jette par la fenêtreen poussant un cri de désespoir.
La légende dit que, de temps en temps, la nuit, sans être vue, elle rentre au château caresser ses enfants.
 Désespéré, Raymondin se fit ermite à Montserrat, en Catalogne.
La légende a nombre d’éléments réels: les Lusignan sont une noble famille française, originaire du Poitou, dont les descendants régnèrent sur Chypre du XII-è au XV-è siècle.

                                                               ***
Seule à la maison, Bertrande rêve à un mari lointain. Celui qui arrive n’est pas son vrai mari, c’est un faux, mais un faux très réussi, qui dépasse le modèle et prend les proportions d’un rêve. Pour la vie de Bertrande, le moment Arnaud se constitue dans un rêve: il est beau, ils s’aiment, ils filent le parfait amour, il est laborieux et s’occupe du manoir et du domaine. Mais il y a là-dedans un mensonge pour lequel il faut payer. Tout comme dans la légende, la punition sera terrible.
Et de même que Mélusine, qui rentrait la nuit au château de Raymondin caresser ses enfants, Bertrande sera hantée par le souvenir d’Arnaud, qui reviendra chaque nuit à Artigat caresser ses joues en larmes et la consoler du fait d’être tellement seule. L’arrivée d’Arnaud dans sa vie fut comme un rêve.

III.             LA FAUTE/ Le Jeu de la Vérité et du Mensonge

On parle dans ce film d’une faute morale qui est grande et qui s’appelle usurpation d’identité. L’usurpateur vole ou veut voler à autrui le nom donc l’identité et par conséquent le passé, les biens, la famille et surtout l’avenir. L’usurpateur prive l’usurpé de son avenir, il l’amène dans l’impossibilité de disposer librement de ses pouvoirs, de ses intentions et de ses décisions. Un usurpateur est quelqu’un qui vole tout à sa victime. Un usurpateur est un voleur total. Un usurpateur est quelqu’un de très dangereux qui vaut bien la pendaison et le bûcher. Un usurpateur est un salaud. Surtout au XXI-è siècle, l’usurpation d’identité est plus fréquente, plus grave et plus abominable que jamais. Et elle vaudrait bien la potence!
Cela dit, il faut noter que c’est un mérite du cinéaste de n’avoir pas fait un film à thèse. Non! Bien au contraire. Le jeu des personnages est complexe et Arnaud, l’usurpateur, a des circonstances atténuantes sur lesquelles nous n’allons plus insister vu que nous l’avons déjà fait et… à pleines mains.
Au procès, à Toulouse, fait son apparition le vrai Martin, qui rentre de la guerre, toujours veule avec en plus une jambe en moins. Il est incarné par le grand comédien Bernard Donnadieu qui nous a quittés en 2010. Pour l’instant, j’ai pensé que c’était un acteur un peu trop grand pour un rôle si chétif. Ensuite j’ai compris l’intention du réalisateur: il voulait donner des chances égales à tous les personnages, il voulait, par la personne de Donnadieu, imprimer un peu de dignité à ce malheureux personnage, autrement si méprisable. Il est méprisé, Martin, du fait qu’il n’a valu ni sa femme, ni le domaine hérité de son père, encore qu’il fût l’authentique Martin Guerre.
Mais l’authenticité n’est nullement négligeable, attendu que “Le mensonge a cent mille figures et la vérité n’en a qu’une.” (Jean de Coras)
Si Arnaud avait eu gain de cause au procès, lui et Bertrande auraient vécu toute leur vie dans le mensonge et le péché; un péché qu’elle n’eût pu jamais confesser, sans avoir trahi celui qui vivait à ses côtés. Avec le vrai Martin, elle a une chance de salut.
Arnaud du Tilh fut condamné à la pendaison et au bûcher en septembre, 1560.
Mais le cinéaste ajoute encore un détail puisé à la vie du magistrat Jean de Coras. Nous savons déjà de l’historienne Nicole Lemaître qu’il sympathisait avec les protestants. En cette qualité, c’est bien probable qu’il a été l’un des instigateurs des troubles de 1562, une tentative calviniste de s’emparer de la ville de Toulouse, dont les habitants étaient pourtant catholiques pour la plupart. Comme la tentative échoua, notre homme s’exila un temps à La Rochelle, au Poitou, mais retourna fort imprudemment à Toulouse où il fut fait prisonnier et condamné à la pendaison en 1572, toujours en septembre, un mois après la nuit de la Saint-Barthélemy.
Et maintenant, cher lecteur, “à nous deux”, quel est le vrai Dieu, celui de La Rochelle ou celui de Toulouse et de Paris?
Parce que tu sais que “Le mensonge a cent mille figures et la vérité n’en a qu’une.”