duminică, 16 septembrie 2012

Georges Méliès et le fabuleux destin de la caméra


        Georges Méliès et le fabuleux destin du septième art



Martin Scorsese est un cinéaste dont le génie n’a d’égal que la générosité. Mon amour du cinéma, je le dois, en grande partie, à Scorsese. Ses films m’ont depuis toujours rendue plus confiante et plus riche. Je l’aime surtout pour m’avoir donné Raging Bull en 1980, La Dernière Tentation du Christ en 1988, The King of Comedy (La Valse des pantins) en 1983, New York, New York, en 1977, Shutter Island en 2010 et pour… Robert de Niro, son acteur fétiche et le mien.
Un véritable génie n’est jamais égoïste. Sa pensée et son rayon d’action sont tellement vastes que, s’il travaillait contre les territoires des autres, qu’il contient d’ailleurs, il finirait par travailler contre lui-même; sa générosité est implicite et inévitable.
Ce n’est pas par hasard que Martin Scorsese s’est tellement impliqué dans la restauration du patrimoine cinématographique américain et mondial.
Ce n’est pas par hasard qu’en 1990 Scorsese avec George Lucas, Stanley Kubrick, Steven Spielberg et Clint Eastwood créent la Film Foundation qui a pour but de restaurer et préserver le patrimoine cinématographique des Etats-Unis.
En 1992, Scorsese met sur pied la fondation dont le nom est infiniment inspiré Martin Scorsese Presents, qui restaure et exploite les grands classiques du cinéma mondial.
En 2007, le cinéaste donne vie à la très connue World Cinema Foundation consacrée à la restauration et à la préservation des films du patrimoine cinématographique mondial.
En 2011, il fait sortir le film Hugo Cabret, consacré à la personnalité du cinéaste français Georges Méliès (1861-1938) et destiné à célébrer le 150-è anniversaire de la naissance du premier cinéaste du monde.
Ce film a eu, à l’Oscar 2012, le plus de nominations - onze, dont cinq sont devenues des récompenses: l’Oscar de la Meilleure Photographie (Robert Richardson), des Meilleurs Décors (Dante Ferretti et Francesca Lo Schiavo), du Meilleur Son (Philip Stockton et Eugene Gearty), du Meilleur Mixage Son (Tom Fleischmann et John Midgley) et, last but not least, l’Oscar des Meilleurs Effets Spéciaux (Rob Legato, Joss Williams, Ben Grossman et Alex Henning). Ce dernier prix est très important pour nous, attendu que Georges Méliès est considéré le père des effets spéciaux.
Hugo Cabret a encore été sélectionné à l’Oscar pour le Meilleur Film, le Meilleur Réalisateur (Martin Scorsese), le Meilleur Scénario (John Logan), les Meilleurs Costumes (Sandy Powell), le Meilleur Montage (Thelma Schoomaker) et la Meilleure Musique (Howard Shore).

I. “Ca te dirait”, l’histoire de Méliès?

Georges Méliès fut un homme très doué, curieux, adroit et débrouillard, qui raffolait du nouveau. Il naquit en 1861, dans la famille de Jean-Louis Méliès, un fabricant de chaussures de luxe. C’est dans l’entreprise de son père qu’il apprit et exerça le métier de mécanicien. Ce fut son premier et dernier métier. Plus tard, on le retrouve journaliste et caricaturiste au journal satirique “La Griffe”, dont le rédacteur en chef était son cousin, Adolphe Méliès.
Mais il a l’esprit d’entreprise et en 1888 achète à la veuve Léonie Robert-Houdin le Théâtre de Magie où il va monter des spectacles de prestidigitation et de “grandes illusions”. L’affaire tourne rond d’autant plus qu’il récupère une dizaine d’automates construits par Robert-Houdin, l’ancien directeur du théâtre, qui est évoqué dans le film aussi, par René Tabard (Michael Stuhlbarg), comme un mentor de Méliès. Ce dernier allait construire son propre automate où “ j’avais mis tout mon cœur et toute mon âme”, ainsi qu’il avoue dans le film.
En 1895, le 28 décembre, il est invité par les frères Lumière à la première projection publique de cinéma. C’est là, boulevard des Capucines, à Paris, que prend corps, au sens propre du terme, un rêve.
Et Georges Méliès, celui du film, incarné par Ben Kingsley, de raconter:
“J’ai demandé aux frères Lumière de me vendre une caméra. Ils ont refusé. J’ai fini par construire ma propre caméra.”
Il aimait bricoler, fabriquer des automates, des caméras et – vers la fin de sa vie - … des jouets mécaniques qu’il vendait dans la gare Montparnasse pour gagner son pain.
Maintenant, muni de sa caméra, il fonde sa propre société de production – la Star Film, un nom qui montre son sens de l’avenir.
Mais, pour l’instant, Méliès ne tournait que des scènes de la vie quotidienne. Il arrive à monter des fictions grâce à une découverte tout-à-fait inattendue, due au hasard: alors qu’il filmait un omnibus, la manivelle s’est bloquée pendant une minute, si bien que, lors du visionnage, l’omnibus se transforma en… corbillard. C’est à ce moment-là qu’arrivèrent au monde du cinéma les effets spéciaux, dus au hasard et à la curiosité d’un génie – Georges Méliès.
 Vous vous étonnerez d’apprendre quels trucages on lui doit. A part le trompe-l’œil et les arrêts de caméra, il est le découvreur des surimpressions et du fondu enchaîné, cette technique cinématographique très utilisée depuis Méliès à nos jours, qui joue sur la luminosité et qui satisfaisait pleinement son goût des transformations et sa curiosité pullulante. Il avait l’esprit large et très libre de celui qui construit, au sens propre du terme, des rêves. Chez lui, une image débouche sur une autre et l’aventure continue et elle doit continuer pour que ce soit une aventure au sens propre du terme.
L’aventure commence en 1897, à sa propriété de Montreuil, où il crée le premier studio de cinéma en France, “un château enchanté”, comme dit René Tabard dans le film de Scorsese. Le château, que vous avez vu dans le film, mesure 17 mètres sur 66 et sa toiture vitrée, à six mètres du sol, le transforme dans “ un palais de verre” – “Il faut y mettre du panache”, comme dit Hugo (Asa Buterrfield). “Le mage de Montreuil” développe aussi un atelier de “coloriage manuel des films”. Il est un vrai mage, c’est-à-dire producteur, réalisateur, scénariste, décorateur, machiniste et acteur à la fois. C’est ainsi qu’il a réalisé plus de 500 courts métrages. Son meilleur film –Le Voyage dans la Lune (1902) – est commenté dans Hugo Cabret. Ce film qui dure 16 minutes est la première adaptation pour le cinéma du roman de Jules Verne De la Terre à la Lune. Hugo évoque les premiers souvenirs cinématographiques de son père, interprété par Jude Law: “Il est entré dans une salle et sur un écran blanc il a vu une fusée entrer dans l’œil de la lune.”
Magnifique, vraiment magnifique!
En 1913 il tourna son dernier film. Après… c’est la guerre. Pendant la Grande Guerre et surtout après, les gens n’avaient plus l’esprit à regarder des films féeriques. Un grand drame et un grand changement venaient de marquer le visage du monde. Ses yeux vides et désabusés n’étaient plus propres à l’émerveillement. Au milieu de ce monde en quête d’un autre sens de l’existence, qui ne voulait plus de lui, Méliès se retrouve comme “un jouet mécanique sans ressort.” C’est la déprime totale. Madeleine Malthête Méliès, la petite fille de Georges, nous raconte ce drame: “Toutes les caisses contenant les films furent vendus à des marchands forains et disparurent. Méliès lui-même, dans un moment de colère, brûla son stock de Montreuil.” Il reprend son premier métier, celui de mécanicien. En 1925, il rencontre une de ses actrices favorites, Jeanne d’Alcy, qui tenait une boutique de jouets et de sucreries dans la gare Montparnasse. Il l’épouse en secondes noces et se met à créer des jouets mécaniques qu’il vendait dans la gare dans une échoppe signalée par l’enseigne “Confiserie et Jouets” que vous avez pu remarquer dans le film. C’est dans cette gare Montparnasse qu’il est retrouvé par Léon Druhot, le directeur de “Ciné-Journal”, qui le fait sortir de l’oubli.
En 1932, lui et son épouse sont placés au château d’Orly, maison de retraite de la Mutuelle du cinéma. Il meurt en 1938 à un hôpital de Paris, une année avant l'éclatement du Second Drame Mondial et le plus affreux.

II. La filmographie de Georges Méliès et les mythes obsédants du cinéma

Vous vous étonnerez de voir combien des mythes du cinéma vous allez retrouver dans la filmographie de Méliès. On dirait que la plupart des films qui ont émerveillé notre enfance et notre vie ne sont que des remakes des fictions de Méliès. N’hésitez donc pas à jeter un coup d’œil sur la sélection que j’ai faite pour vous; le jeu en vaut bien la chandelle:
Faust et Marguerite (1897)
La Damnation de Faust (1898)
La Tentation de Saint Antoine (1898)
Cendrillon (1899)
Cléopatre (1899)
L’Affaire Dreyfus (1899)
L’homme-orchestre (1900)
Barbe-Bleue (1901)
Le Voyage de Gulliver à Lilliput et chez les géants (1902)
Le Voyage dans la lune (1902)
Le Revenant (1903)
Le Royaume des Fées (1903)
La Lanterne magique (1903)
Le Juif errant (1904)
Le Palais des Mille et Une Nuits (1905)
La Prophétesse de Thèbes (1907)
Vingt mille lieues sous les mers (1907)
Tartarin de Tarascon (1908)
Le Rêve d’un fumeur d’opium (1908)
Le Mousquetaire de la Reine (1909)
Les Aventures du Baron de Münchhausen (1911)
A la Conquête du Pôle (1912)
Le Voyage de la famille Bourrichon (1913)
Vous pouvez constater à l’œil nu quelle intuition des grands thèmes du cinéma il a eue!

III. Dans le Ventre de la Gare

Pénétrons maintenant dans le ventre de la gare Montparnasse où les personnages s’observent réciproquement tout en tâchant de se connaître et de s’entraider. Le garçon Hugo épie le vieillard Méliès et vice versa. Mademoiselle Isabelle, la filleule de Méliès, (Chloë Moretz) observe amoureusement le petit Hugo et essaye de l’aider; Hugo en est touché. L’inspecteur (bancal) de la gare (Sacha Baron Cohen) guette d’une certaine manière Lisette, la fleuriste, (Emily Mortimer) et lui fait la cour à sa manière. Il épie également Hugo, qu’il prend pour un vagabond voleur; il a de bonnes intentions, il veut lui offrir la sécurité, celle d’un orphelinat. Lui aussi avait été élevé dans un orphelinat. Sa pensée est très positive. Voilà sa définition de la gare: “On vient ici pour monter dans le train ou bien pour descendre ou pour travailler dans des échoppes.” Il n’arrive pas à saisir la poésie de la gare bien qu’il y passe son temps du matin au soir: “Assez de poésie pour aujourd’hui!” Il a fait la guerre d’où il est revenu boiteux. Mais, quand il voit Lisette, il en est ému. Lisette et ses fleurs sont tout ce qu’il a vu de plus beau de sa vie.
Mais la gare n’est pas faite seulement de trains, de voyageurs et de ceux qui y travaillent. Il y a encore quelque chose que le flic s’ingénie à saisir mais qui lui échappe chaque fois: c’est le territoire de Hugo, ce sont les horloges qui mesurent le temps et l’enfant a appris de son oncle (Ray Winstone) que “le temps, c’est tout.” C’est peut-être la meilleure définition du temps. Mesurer le temps devient quelque chose de très important, la tour des horloges apparaît comme un royaume et le petit Hugo devient le vrai maître de Montparnasse. Ce ventre opulent de la gare avec ses voyageurs, ses travailleurs, ses inspecteurs, ses vagabonds, les petits chiens des dames, ses horloges et surtout sa mécanique justifie la 3D dont Scorsese use pour la première fois.
Et François Guillaume Lorrain de continuer:
“Voici une 3D parfaitement justifiée puisqu’elle nous plonge dans le ventre matriciel de la gare, de ses horloges et de ses mécanismes.”
Le film nous fait voir des rouages d’horloges géantes qui évoquent les mécanismes qui rendent possible l’image filmée.
Ce film est l’adaptation du roman illustré L’Invention de Hugo Cabret de Brian Selznick, qui renferme dans l’histoire de Hugo Cabret – ce  petit enfant, amoureux du cinéma, qui s’occupe à ce que les horloges continuent à montrer l’heure – la  vie de Georges Méliès. C’est une mise en abîme dont use Scorsese aussi. C’est une autre manière de descendre “dans le ventre matriciel de la gare” et dans le temps, là où nous assistons à la naissance du cinéma.On a l’impression que la 3D enfante des choses, des personnes et des chiens qui courent et aboient à travers la gare.
J’ai dit que Hugo épiait le vieillard et vice versa. Le garçon imagine le monde “comme une grande machine” et “les machines n’ont pas de pièces superflues. Alors, je ne peux pas être une pièce superflue. Je dois être ici pour une bonne raison.”
Il hérite de son père, qui est mort dans un incendie, un automate, sans en détenir la clef qui pourrait le faire fonctionner et cela l’afflige, attendu que “ces machines font ce qu’elles sont censées faire… C’est peut-être pour ça que les machines cassées me rendent si triste, elles ne peuvent plus faire ce qu’elles sont censées faire. C’est peut-être pareil avec les gens.”
Quand il se lie d’amitié avec Isabelle, il découvre au cou de la fille la clef en forme de cœur de l’automate. Il se hâte à lui présenter la machine:
“- C’est un automate. Je crois qu’il attend.
  -Il attend quoi?
  -De fonctionner à nouveau.”
Ce film est plein de correspondances. L’automate, de même que le vieillard représentent le monde passé, mais, quelque part, il existe une clef qui pourrait les faire “fonctionner à nouveau”, parce que le monde serait trop pauvre sans eux. Heureusement, il y a des passionnés pour la technique, comme il y a des passionnés pour le cinéma, qui sont prêts à consacrer toute leur vie à la recherche de la clef. Sans passion, notre vie aurait la froideur répugnante d’un orphelinat. Sans passion, nous serions comme des orphelins incapables de se constituer une famille spirituelle. Sans passion, il n’y a pas de culture authentique et pas de vie. Ce n’est pas par hasard que Hugo est orphelin, d’abord de sa mère et puis de son père. Son amour du cinéma, qu’il héritait de son père,  vient le consoler: “Le cinéma, c’était notre monde à part. On pouvait y aller voir un film et maman nous manquait un peu moins.” Isabelle est, elle aussi, orpheline. Son amour des livres remplit sa vie et la console du fait de n’avoir pas la permission d’aller au cinéma. Son papy Georges le lui avait interdit. L’inspecteur de police est un autre orphelin dans ce film. Malheureusement, il n’a pas l’habitude de fréquenter le cinéma ou la poésie et alors seulement Lisette et ses fleurs peuvent le consoler.
A propos de l’automate,  dans les machines, les hommes investissent leur passion, leur extravagance et leur sens de l’avenir. Le cinéma n’est que l’effet de la passion humaine pour la lumière et le mouvement.
Le garçon veut réparer le vieillard – “On pourrait le réparer” –, veut le faire “fonctionner à nouveau”, comme à l’époque où il allait au cinéma avec son père voir des films. Et il aboutit.
Scorsese veut redonner vie à Méliès. Et il aboutit aussi. Il y a eu des critiques qui ont dit que ce film n’avait pas d’émotion. Pour vivre l’émotion, il faut être capable de passion. Autrement, il serait très difficile, sinon impossible de ressusciter un monde évanoui qui a un besoin désespéré de se retrouver “dans de bonnes mains”, comme dit Monsieur Labisse, le libraire (Christopher Lee).
Et Martin Scorsese de conclure:








“Plus on avançait dans le film, plus on me disait: “Mais c’est toi!” Je n’y prêtais guère attention, tout ce que je voulais, c’était travailler avec les acteurs et raconter cette histoire. Mais au moment de terminer le montage, il n’y avait plus aucun doute: “Hugo, c’est moi.”