miercuri, 14 august 2013

"Histoires sanglantes" - L'Affaire William Wallace




           HISTOIRES SANGLANTES – L’AFFAIRE WILLIAM WALLACE


           Un homme est la somme de ses actes, de ce qu’il a fait et de ce qu’il aurait pu faire. (André Malraux)


Dans l’un de leurs documentaires de la série intitulée Histoires sanglantes, (Bloody Tales of Europe) diffusée sur National Geographic, Joe et Susannah, que j’ai déjà présentés sur ce blog dans le postage Le Prince Vlad l’Empaleur, du 7 août a.c., s’occupent d’une autre grande figure de l’histoire médiévale; alors, nous allons voyager de Valachie en Ecosse et, du XV-è au XIII-è siècle. Nous restons donc au Moyen Age que, d’ailleurs, nous aimons tant.
Cette fois-ci, l’histoire est courte; Joe et Susannah vont faire vite. Le personnage central en est très connu: Sir William Wallace, surnommé Braveheart, qui naquit en 1272, dans une famille de petite noblesse. Au bout d’une dizaine d’années, l’Ecosse allait être soumise par le roi Edouard I-er d’Angleterre. William Braveheart s’élève contre l’autorité anglaise et libère son pays à la suite de la bataille de Stirling, en 1297: une belle victoire immortalisée par Mel Gibson dans son film extraordinaire Braveheart. Mais, une année plus tard, les Ecossais sont vaincus à Falkirk par le roi roi Edouard I-er, surnommé Longues Jambes, dont le fils, Edouard II, allait se marier avec Isabelle de France, la fille de Philippe le Bel, mais cela en 1308, trois années après l’exécution de William Wallace. Dans son film époustouflant, Mel Gibson prend la licence de  faire Isabelle s’enamourer de William Braveheart.
Après la défaite de Falkirk (1298), William passa en France. Les Ecossais étaient plutôt francophiles et Braveheart parlait très bien français et lisait en latin. Il revient en Ecosse en 1304 pour mener une vie de hors-la-loi. Il se décide alors de reprendre la lutte contre l’Angleterre, comptant sur l’appui des nobles, mais il est capturé près de Glasgow le 3 août 1305 par les hommes de sir John Menteith, attendu qu’après la défaite de Falkirk les nobles écossais s’étaient empressés à qui mieux, mieux à faire leur soumission au roi d’Angleterre.
Braveheart mourut à 33 ans, torturé et, finalement, décapité, le 23 août, 1305.
Joe et Susannah insistent énormément et furieusement sur la scène de la torture. Comme je vous l’ai déjà dit dans mon postage Le Prince Vlad l’Empaleur, du 7 août a.c., les documentaires de Joe et de Susannah se veulent démythifiants, alors qu’ils ne réussissent qu’à minimiser au lieu de démythifier.
Mais ce qu’ils nous font voir à propos de la torture est parfaitement vrai: William Wallace a été traîné par des chevaux sur plusieurs kilomètres, de Westminster à la Tour de Londres, où il a été à moitié pendu et, en même temps, progressivement éventré. Et comme il continuait à refuser de reconnaître la suzeraineté d’Edouard Longues Jambes, les bourreaux, après avoir épuisé leurs moyens, l’ont décapité.
Joe et Susannah avancent la thèse, d’ailleurs très chère aux démythificateurs, que c’est justement le bourreau qui rend célèbre la victime: dans notre cas, les tortures exécutées sur l’ordre d’Edouard I-er auraient largement contribué à la popularité de ce héros écossais. Comme s’il n’avait rien fait de son vivant et c’étaient la mort et les tortures ordonnées par Edouard Longues Jambes qui le rendaient populaire parmi les Ecossais!
Eh bien, j’avance à mon tour que cette idée  ne tient pas debout dans le cas particulier de William Wallace.
Premièrement, il fut exécuté à Londres, en Angleterre, devant un public hostile, qui le traitait en ennemi, vu que ces Anglais avaient perdu des parents dans les batailles de Stirling et de Falkirk. Il y avait peu d’Ecossais à Londres pour voir ce martyre. Ce qui comptait vraiment pour les Ecossais, c’était ce que William Braveheart avait fait: il avait vivifié leur fierté patriotique, à un moment où ils n’avaient plus de roi ni de dignité. La victoire de Stirling ne leur a pas donné de roi, mais, en échange, ils ont gagné un héros et leur dignité à eux. Dire cela, c’est dire la vérité et non pas idéaliser un homme qui est devenu héros par son action et son audace réellement hors du commun.
Deuxièmement, il faut rappeler à Joe et à Susannah qu’on est en 1305, à une époque qui n’a nullement les moyens de diffusion que connaît le monde actuel. Leur idée reposant sur le martyre des exécutions, avec un bourreau généreux qui assure, malgré soi, la célébrité de la victime, est un peu... hâtive, parce que valable seulement aux deux derniers siècles. La photographie et la caméra datent du XIX-è siècle, tandis que la télévision fut l’invention d’un autre Ecossais, John Baird, qui mit au point son invention en 1926. Même l'impression est l'apanage du XV-è siècle.


 Joe et Susannah emploient des lieux communs de la démythification, sans tenir compte des traits particuliers de chaque cas.
Finalement, on peut avancer l’idée que Joe et Susannah ont voulu justement affaiblir le sentiment nationaliste écossais qui perdure. Mais Edouard I-er Longues Jambes a voulu la même chose!
Mais sans succès. Vu qu’après cette exécution terrible, les Ecossais, pas du tout apeurés, se dressèrent contre l’Angleterre, sous le commandement de Robert Bruce qui s’était rallié les nobles et proclamé roi d’Ecosse. En cette qualité, il l’emporta sur l’armée anglaise en 1314, à Bannockburn, ce qui lui permit de proclamer l’indépendance de l’Ecosse, qui fut reconnue par les Anglais en 1328.
Tout cela prouve que l’action de même que le martyre de William Wallace portèrent de beaux fruits et que les choses ne tiennent pas aux champs comme elles sont ordonnées en chambre.




marți, 13 august 2013

Aimez-vous Delacroix (1798-1863), 150 ans après sa mort? (III)












Si tu aimes Delacroix, cherche également mon postage du 13 aout 2011.

miercuri, 7 august 2013

LE PRINCE VLAD L'EMPALEUR










                                        LE PRINCE VLAD L’EMPALEUR



Depuis quelque temps, il passe sur National Geographic une série intitulée Histoires sanglantes (Bloody Tales of Europe) présentée par deux individus: lui, il dit s’appeler Joe et il est journaliste de son métier et elle, elle est Susannah – historienne.
A suivre la série, on a l’impression que leurs documentaires se veulent démythifiants et il faut convenir que la démythification est parfois très nécessaire.
Elle est bonne, la démythification, pour deux raisons:
Premièrement, on ne peut pas établir ou, au moins, chercher la vérité sans avoir brisé la carcasse du mythe pour y trouver la “moelle” de l’histoire. Avec cette démythification, c’est tout un monde qui change, les mentalités sont ébranlées et la vérité peut enfin émerger sous un nouveau jour.
Deuxièmement, à présent on parle, on s’ingénie à parler des “Etats-Unis d’Europe” et, pour que cette formule soit viable, il faut travailler les mentalités pour qu’elles deviennent plus perméables et plus aptes à accepter les vérités incommodes et les valeurs authentiques des pays autrefois en rivalité avec le vôtre.
Mais il faut avoir la capacité de comprendre que ce travail est délicat et difficile à faire et que la démythification ne se confondra jamais avec l’insulte, avec le travail mal fait ou avec le mensonge. Le menteur ne va pas loin.
Travailler dans le sens de l’histoire et avoir de bonnes intentions n’excusent pas le travail mal fait, superficiel et puéril. Bien au contraire, ce travail peut nuire aux bonnes intentions, si hautement déclarées.
Si elle ne cherche pas la vérité historique, la démythification, tout comme le mythe, sera au service de la manipulation.  Les “historiens” sauront d’avance où il est “bon” de démythifier et où il ne faut pas intervenir, si peu que ce soit. Cette victoire de la manipulation sur la vérité historique fera que l’histoire devienne une matière d’étude sans appas où le sens est reçu et même pis: c' est commandé. Il n’y aura plus rien à découvrir, plus rien à réinterpréter. Alors l’histoire se pétrifiera et se fermera aux lecteurs. Les étudiants s’en éloigneront.

                                                       ***

Dans l’un des documentaires de la série mentionnée, Joe et Susannah s’occupent de la figure proéminente de Vlad III, dit l’Empaleur, prince de Valachie (1448, 1455-1462 et 1476).
Je n’ai nullement l’intention de reprocher à Joe et à Susannah ce qu’ils ont dit; ils peuvent dire tout ce qu’ils veulent ou tout ce qu’on leur a recommandé/commandé de dire. Mais je suis très intéressée à ce qu’ils ont omis de dire, attendu que, dans un ouvrage scientifique ou dans un documentaire, omettre, c’est mentir.
De leur documentaire, le téléspectateur distrait apprend seulement que Vlad l’Empaleur - Vlad Țepeș, en roumain - était un prince tyrannique et cruel, le prince le plus tyrannique que le Moyen Age ait jamais connu!
S’il était tellement tyrannique, pourquoi les chroniqueurs roumains n’en disent rien?! Car voilà ce que souligne l’historien Lucian Boia, l’un des historiens roumains qui ont beaucoup insisté sur les influences négatives du mythe sur l’histoire, à travers des ouvrages publiés en Allemagne et surtout en France, où il a fait paraître au moins neuf livres aux éditions La Découverte, Plon et Les Belles Lettres : “En ce qui concerne ce prince [Vlad l’Empaleur], les chroniques de la Valachie n’offraient même pas l’image noircie d’un Jean le Terrible. Il y apparaissait purement et simplement comme un prince quelconque...(...). Pour le reste, l’information sur Vlad l’Empaleur n’est pas de souche roumaine: vous la trouverez soit chez les historiens byzantins, chez Chalcocondylas, en premier lieu, lorsqu’il s’agit du conflit avec les Turcs, soit dans différentes chroniques allemandes et, en outre, une chronique slave traitant toutes des actes de sadisme qu’on lui imputait.” (Lucian Boia, Histoire et mythe dans la conscience roumaine, Bucarest, Humanitas, 1997, p.237)
Il y a encore la mémoire du peuple: eh bien, Vlad jouit d’une grande popularité parmi les Roumains qui ont de la sympathie pour lui et qui le regardent comme un grand justicier qui a lutté contre la corruption à l’intérieur et contre les Turcs à l’extérieur. S’il en a mal usé avec les Turcs et les Saxons, il a été bon et juste avec le petit peuple sur lequel il s’est appuyé et qui lui a gardé une très bonne mémoire. Il a su redresser l’économie et le commerce et combattre la pauvreté. Je reviendrai à ce sujet.
Cruel, il l’était, mais “on a exagéré la cruauté de ce prince qui est présenté par certains historiens comme un malade, un dégénéré, un sadique; d’ailleurs, les supplices et les exécutions qu’il a ordonnés n’étaient pas le fruit d’un caprice maladif, mais avaient tous une raison, à savoir très souvent une raison d’Etat. Ils servaient d’exemple et assuraient l’ordre; d’ailleurs ils n’étaient ni plus nombreux ni plus cruels que ceux commandés à l’époque par d’autres souverains d’Europe.” (Constantin C. Giurescu, [1943], L’Histoire des Roumains de la préhistoire jusqu’à la mort du roi Ferdinand,  Bucarest, Humanitas, 2000, p.135)
Mais ce qui le distingue vraiment des “autres souverains” est la manière dont il a usé de ces supplices: il n’a pas fait empaler seulement du menu peuple – des criminels et des voleurs – mais également des nobles comploteurs, des marchands saxons jugés malhonnêtes et des commandants turcs.

I.            VLAD ET LES SAXONS

J’ai affirmé que Vlad avait vraiment redressé l’économie et le commerce. Il comprenait très bien qu’un Etat puissant avait besoin d’un trésor bien garni et il savait que ce trésor était alimenté par les douanes et les taxes sur le commerce. De même, il voyait bien que, de tout le commerce pratiqué en Valachie, c’étaient surtout les négociants saxons de Brașov et de Sibiu qui faisaient leurs choux gras, puisqu’ils pratiquaient un commerce de détail sur tout le territoire de la Valachie, alors que les Valaques, eux, n’avaient pas le même droit en Transylvanie, ce qui était injuste autant que préjudiciable. Dans ce cas-là, le prince Vlad a donné un ordre qui limitait les ventes des Saxons à trois villes frontière, en les forçant de pratiquer un commerce en gros, au bénéfice des commerçants valaques qui allaient porter et revendre leurs marchandises dans tous les coins du pays. (Confer Neagu Djuvara, De Vlad l’Empaleur à Dracula le Vampire, Bucarest, Humanitas, 2010, p.38)
Mais les Saxons (population d’origine allemande qui s’était établie en Transylvanie au XIII-è et XIV-è siècles) qu’est-ce qu’ils ont fait?
Eh bien, ils ont largement ignoré l’ordre du prince. D’ailleurs les Saxons étaient les ennemis traditionnels de Vlad Dracula et c’était surtout chez eux que trouvaient refuge les prétendants au trône de la famille des Basarab-Dănescu, qui s’opposaient à ceux des Basarab-Drăculescu dont faisait partie Vlad.
Face à cet acte d’insoumission, la réaction du prince fut terrible: il fit arrêter tous les marchands saxons qui avaient enfreint son ordre et les fit empaler. Les Saxons portèrent plainte au roi de Hongrie et continuèrent d’abriter et d’épauler les prétendants au trône. Vlad écrivit des lettres aux gouverneurs de Brașov et de Sibiu en les prévenant que, s’ils ne chassaient pas tel ou tel prétendant de leurs cités, il porterait le fer et la flamme dans leurs pays et, comme ceux-ci firent fi de sa menace, il passa la montagne en 1459 et mit à feu et à sang le Pays de Bârsa et les contrées de Brașov et de Sibiu.
L’un de ces prétendants, Dan, vint tenter sa chance, mais ne réussit qu’à se faire rosser et attraper. Vlad le fit creuser sa propre fosse, le fit écouter sa propre messe funèbre et le fit décapiter. Tel est pris qui croyait prendre , dit un proverbe.
Mais puisque Dan avait été soutenu par les Transylvains de Făgăraș et d’Amlaș aussi, Vlad envoya des troupes qui pillèrent et embrasèrent ces contrées. Certains villages tels que Șercaia et Mica furent réduits en poussière. Le village d’Amlaș fut pris le 24 août 1460. Tous les villageois et le prêtre avec en furent soumis au supplice du pal. (Cf. Constantin C. Giurescu, 2000, p.136)
Il était impitoyable, mais il faut convenir que la trahison était, à ce moment-là aussi, chose fréquente.

II.         VLAD ET HAMZA-PACHA

Vlad III a su redresser l’économie du pays et combattre la crise économique; j’ai promis de revenir à cet aspect. Au début de son second règne (1455-1462), il paya le tribut convenu au sultan Mehmet II le Conquérant, mais en 1459 il arrêta de le faire. Pourquoi? Quelles en sont les raisons?
Il y en a au moins quatre: une – historique, une autre – diplomatique, une autre, très prévisible, - économique et la dernière – humanitaire.
La raison historique va de pair avec celle diplomatique: en 1459, la Serbie fut conquise par les Turcs et devint pachalik, de même que la Grèce et la Bulgarie. Devant cette menace ottomane, le pape Pie II envisagea à Mantoue une ample croisade antiottomane ayant à sa tête Mathias I-er Corvin, le roi de Hongrie, qui allait devenir l’allié de Vlad III dans la lutte contre les Turcs. Voilà pourquoi, même s’il avait payé le tribut jusque là, Vlad trouva bon, en 1459, de changer de cap.
La raison économique repose sur la somme immense de dix mille pièces en or que les Valaques devaient payer annuellement au sultan. Cesser de la payer, c’est une autre mesure de redressement économique du pays.
La raison humanitaire prend en considération une information fournie par le chroniqueur byzantin Ducas, qui a affirmé qu’en 1459 le Sultan avait demandé aux pays soumis de payer également un tribut humain qui résidait en quelques centaines d’enfants. Ces enfants allaient être élever dans la loi islamique pour devenir janissaires. (Cf. N. Djuvara, 2010, p.41-42)
Aussi, en 1459, sous différents prétextes, Vlad cesse-t-il de payer le tribut et le Sultan apprend de ses espions que le prince valaque, en alliance avec Mathias I-er Corvin, le fils de Jean Huniade, se prépare à déclencher la guerre contre l’Empire ottoman. Et le Sultan essaye d’abord d’une manière diplomatique de le faire mordre la poussière: il lui envoie un messager grec, Katavolinos, qui était chargé d’inviter le prince à Giurgiu afin de régler, de commun accord avec les dignitaires turcs, quelques problèmes de frontière. Mais à Giurgiu l’attendaient Hamza-pacha avec ses troupes, qui allaient l’arrêter et le rendre au Sultan. Mais notre prince à nous étant plus sournois que le Grec et les Turcs en eut l’intuition et feignit de se rendre à Giurgiu avec peu de compagnons et, en outre, avec un tribut humain d’une cinquantaine d’enfants. Mais, intelligent et bon stratège, il avait préparé de grosses troupes qui attendaient en catimini et qui, à son signe, se ruèrent sur les Turcs d’Hamza qui tombèrent prisonniers. Tel est pris qui croyait prendre... pour la deuxième fois...
Les prisonniers furent amenés à Târgoviște et, à la périphérie de la ville, le prince les fit empaler. Mais pour Hamza-pacha et pour le messager hypocrite et menteur, Katavolinos, Vlad fit monter des pals plus grands pour que leur rang ne passât pas inaperçu...
La cité de Giurgiu tomba aux mains de Vlad et le bord droit du Danube, de l’embouchure jusqu’à Zimnicea, fut mis à feu et à sang. Qui plus est, les habitants de Constantinople se préparaient à déserter leur ville, en craignant que Vlad l’Empaleur pût y arriver. Un autre commandant turc, Mehmet-pacha, prit la fuite pour sauver sa peau et apprit, à cette occasion, que la peur a bon pas.
Quelle belle victoire! Et quelle intelligence, et quelle vaillance que celles de notre prince!
Vlad, lui-même, en fut enchanté et dans la lettre qu’il écrivit à Mathias Corvin, son allié, il raconta qu’on avait tué 23 809 hommes – on comptait scrupuleusement les têtes coupées, c’était la coutume – à l’exception de 884 personnes qu’on avait fait brûler dans leurs maisons. (Cf. Constantin C. Giurescu, 2000, p.136)

III.    LA QUADRUPLE TRAHISON

L’attitude, de même que la conduite de Vlad furent mal digérées par le Sultan et à l’été 1462 Mehmet II le Conquérant du Byzance se mit en route à la tête d’une formidable armée de 150 000 hommes (lui-même a mentionné ce chiffre dans une lettre), la plus grande armée après celle avec laquelle il avait conquis le Byzance, et 175 navires de guerre. Une partie de cette flotte attaqua la cité de Chilia, un centre commercial très important, qui apportait de gros revenus au(x) prince(s) qui le protégeai(en)t. Depuis le règne de Jean Huniade cette  cité était défendue par une garnison hongroise et une autre valaque. Mais Chilia ne fut pas attaquée seulement par une flotte assez puissante, mais aussi par une armée de terre à la tête de laquelle se trouvait... Etienne le Grand de Moldavie, le cousin de Vlad III, qui avait été mis sur le trône justement par Vlad III cinq années auparavant!... Qui donne à crédit perd son bien et son ami. Et ce n’est que... la première des trahisons. Joe et Susannah auraient eu là une bonne occasion d’intervenir et d’appliquer au prince moldave une de ces démythifications qui leur tiennent à cœur. Ils auraient dû pourtant préciser qu’Etienne le Grand fut, en général, un bon et grand prince et qu’il allait devenir un vrai Athleta Christi dans la lutte antiottomane. Mais Joe et Susannah n’ont pas l’habitude de telles nuances; ils voient les choses en noir et blanc et préfèrent minimiser au lieu de démythifier.
Face à cet acte de félonie horrible, Vlad III dut détacher de son armée qui comptait 30 000 soldats tout au plus un détachement de 7 000 hommes pour renforcer les garnisons qui défendaient Chilia. Mais le sultan Mehmet II, le prince Etienne le Grand, de même que Joe et Susannah n’eurent pas de chance: la cité de Chilia ne fut pas prise. Etienne le Grand rentra bredouille.
Encore l’armée du prince était-elle trop petite. Vlad ne pouvait pas faire face au Sultan en plein champ. Aussi appliqua-t-il la politique de la terre brûlée: il mit le feu à ses propres villages, empoisonna les puits, amena les villageois et leur bétail dans des forêts ou à la montagne afin de ne rien laissser à boire et à manger à l’armée turque et se résolut à faire une guerre de harcèlement.
Mais Joe et Susannah ne soufflent mot de la fameuse attaque de nuit du 17 juin 1462 qui, sans être couronnée du succès suprême – Vlad eût voulu tuer le Sultan même – réussit à provoquer de graves pertes aux Ottomans et témoigna de la bravure et, en même temps, de l’audace extrême, mais calculée de ce prince. Plus je lis/j’écris, plus je comprends que rien dans son action n’était gratuit, aventureux ou capricieux.

La forêt des pals

Le Sultan se hâtait vers Târgoviște, la capitale de la Valachie, mais, soupçonneux, il se résolut à contourner la ville pour éviter les mauvaises surprises de son opposant, Vlad III. Et les Turcs marchaient aux alentours de Târgoviste lorsque l’image la plus épouvantable s’offrit à leurs yeux: sur une étendue mesurant trois kilomètres de longueur sur un kilomètre et demi de largeur on avait planté des pals, auxquels étaient accrochés des moribonds qui gémissaient, des cadavres qui puaient et des squelettes bien lisses “à la poitrine desquels les corbeaux, par milliers, avaient fait leurs nids. Au fur et à mesure que l’armée turque approchait, les corbeaux s’envolaient, en remplissant le ciel de leurs croassements macabres. Même aux premiers rangs, empalés depuis peu, on pouvait apercevoir les Turcs d’Hamza-pacha et de Katavolinos, tombés prisonniers à Giurgiu, et, au pal le plus grand, sur le cadavre d'Hamza-pacha à moitié mangé par les corbeaux, on distinguait encore ses vêtements précieux, en soie.” (N. Djuvara, 2010, p.54)
Quel spectacle, cher lecteur! Et quelle mise en scène grandiose, gigantesque et orgiaque! Teintée d’humour noir.
Joe et Susannah ne goûtent pas le spectacle. D’ailleurs, je ne m’y attendais pas. Ils reprochent l’air qui sentait mauvais. La légende dit qu’en voyant la forêt des pals les soldats turcs furent si épouvantés qu’ils chièrent en caleçon et Joe et son amie ne savaient pas dire ce qui sentait plus mauvais: les cadavres en putréfaction ou les caleçons des Turcs?
Pour en finir, il faut ajouter que Mehmet II le Conquérant ne partage pas l’avis de Joe et de Susannah. On nous dit que le Sultan, à la vue de cette mise en scène, manifestait une sorte de “stupeur admirative” (N. Djuvara, 2010, p.54) et ne cessait de dire qu’il ne pouvait pas prendre le pays à un prince qui faisait des choses si grandioses et qu’un tel homme aurait été digne de plus. Il avait le sens du spectacle, Mehmet II, qui se hâta à déserter la Valachie.
 Le Sultan, lui aussi, rentra bredouille.
Mais Mehmet II le Conquérant était trop vieux renard pour ne pouvoir envisager d’autres modalités de faire la guerre: avant de passer la frontière, à Brăila, il fait un cadeau aux Valaques; c’était “une bombe à retardement” (N. Djuvara, 2010, p.56), c’était le prince Radu le Beau, le frère cadet de Vlad, bon ami du Sultan et l’ennemi de son frère. Mais Radu le Beau, soutenu par une petite armée turque de 4 000 hommes ne pouvait rien faire sans le soutien des nobles, qui s’empressèrent à qui mieux, mieux à baiser la main au nouveau maître!
Qu’est-ce qui s’était passé?
Ces nobles avaient réellement secouru leur prince et avaient combattu à côté de lui et alors qu’est-ce qui est arrivé?
Ah, c’est tout une histoire!
En Valachie, les relations entre le prince régnant et les nobles ont été presque tout le temps tendues, vu que dans les Principautés roumaines la loi sacrée du premier-né était connue, mais pas toujours révérée.
 Il fallait simplement que le voïvode fût d’origine princière, mais les nobles se réservaient toujours le droit de remplacer un voïvode par un autre de la même famille ou d’une tout autre famille princière. Les relations étaient tendues et agitées et la question qui se posait le plus fréquemment était : qui aurait le dessus? Vlad III a régné trois fois, en faisant empaler les nobles comploteurs pour servir d’exemple! Mais en vain! La trahison était omniprésente.
Comme je vous l’ai déjà dit, en 1459 la Serbie devint pachalik. Pour les nobles valaques, pachalik signifiait la perte de tout contrôle, de presque tous les domaines et de tous les privilèges. Cette crainte les a unis à leur prince, Vlad,  qui avait sa haine des Turcs et qui allait combattre de bon cœur contre ceux-là. Ils s’étaient simplement servis du prince Vlad. (Cf. Marius Diaconescu, Le Prince Vlad l’Empaleur: sujet de manipulation depuis plus de 500 ans. Entre la vérité historique et les mythes, in “Historia”, an X, nr. 105, septembre 2010). Mais maintenant le danger est passé: Radu le Beau est l’ami du Sultan et, pour ses beaux yeux, Mehmet II renonce à transformer la Valachie en pachalik et se contente du gros tribut de 10 000 pièces d’or. Alors, les nobles récitent la leçon qu’ils savent le mieux: LA TRAHISON.
Radu le Beau, soutenu par les nobles et leurs troupes, poursuit son frère jusqu’à la forteresse de Poenari. D’après la légende, la femme de Vlad, pour échapper aux assiégeants, se jette du haut de la falaise que la forteresse surplombe et la scène fut exploitée par Francis Ford Coppola dans son Dracula.
Vlad III réussit à échapper au siège de Poenari, en empruntant un passage secret à travers la montagne. Il avait encore des troupes fidèles et se mit à attendre l’aide promise et maintenant très nécessaire de Mathias Corvin qui arriva finalement, mais le roi hongrois ne semblait pas très résolu à combattre contre les Turcs. Vlad était presque incapable de comprendre qu’il allait être pour la quatrième fois trahi!
Car il fut quatre fois trahi: par son cousin, Etienne le Grand, que lui-même avait aidé à monter sur le trône, par son propre frère, Radu le Beau, par les nobles et par Mathias I-er Corvin, dit le Juste. Ils étaient tous grands, beaux et justes, ces félons. Lui, seul, il était l’Empaleur: un féodal sauvage, mais très honnête!

IV.         L’INCARCERATION

Mathias Corvin n’avait pas envie à ce moment-là de faire la guerre aux Turcs. Il avait d’autres chats à fouetter et des ambitions impériales. D’ailleurs, il lutta victorieusement contre l’Autriche.  Il n’avait aucune envie, pour l’instant, de suivre Vlad dans son combat antiottoman.
Bon, mais que dire au Pape Pie II, qui l’avait placé à la tête de la croisade antiottomane?!
Il réfléchit. Un grand roi a toujours de la chance.
Sur ces entrefaites, en Valachie, Radu le Beau monte sur le trône. En Transylvanie, les autorités locales de Brasov s’empressent à reconnaître Radu comme souverain et ont l’idée de proposer à Mathias Corvin d’évincer, même de tuer Vlad l’Empaleur. Mathias Corvin y réfléchit, et réfléchit, et réfléchit... Il était avec Vlad depuis cinq semaines à Brasov. Mathias Corvin renouvelle sa promesse d’aider Vlad à combattre contre les Turcs. Vlad allait partir pour la Valachie avec une petite armée et le roi Mathias allait le rejoindre un peu plus tard avec toute son armée. Mais sur la route de Rucăr, Vlad l’Empaleur est arrêté par les hommes de Mathias. (Cf. N. Djuvara, 2010, p.63) Il sera incarcéré pour 12 ans, dans une résidence royale, près de Buda.
Les chefs d’accusation ont été trois lettres que Vlad III aurait écrites, dont l’une adressée au sultan Mehmet II, où Vlad demandait pardon et promettait au Sultan de lui faciliter la conquête de la Transylvanie et puis - pourquoi pas? -  de toute la Hongrie.
Cette lettre est un faux.
D’abord, l’argument logique en est que Vlad ne pouvait pas promettre au Sultan des choses que celui-ci se trouvait dans l’impossibité psychologique d'accepter comme vraies. Vlad était trop intelligent pour le faire et Mehmet II – trop intelligent pour le croire. Ceux qui avaient écrit cette lettre ne le croyaient pas, eux non plus.
 La copie latine de cette lettre fut envoyée au pape Pie II pour blanchir Mathias Corvin, pour justifier sa non intervention dans le combat antiottoman.
Deuxièmement, l’argument juridique du faux est que l’original de cette lettre pour laquelle un prince avait été 12 années emprisonné n’a jamais été trouvé.
Mathias Corvin fut un grand roi, mais un homme d’un très mauvais caractère. Le Turc Mehmet II était, au moins, un adversaire respectable.

V.            VLAD ET LES PETITES HISTOIRES

Plus je lis, plus je suis persuadée que la plupart des histoires reposant sur sa cruauté terrible ne sont que de pures inventions.
Prenons-en une!
Vlad est incarcéré en Hongrie, sur l’ordre de Mathias Corvin.
Et là, savez-vous ce qu’il faisait et à quoi il trouvait son plaisir?
Eh bien, il passait son temps à attraper des rats et à les empaler!
J’admets qu’il est difficile de concevoir de telles bêtises!
En premier lieu, Vlad III l’Empaleur fut incarcéré dans une résidence royale, où il menait une vie de famille, puisqu’il avait épousé Hélène de Huniade Nelipic, la cousine du roi Mathias Corvin, avec laquelle il eut une fille, Zaleska.
En second lieu, c’est de cette époque que date son portrait le plus connu qui le fait voir élégamment vêtu, avec, en outre, ses cheveux longs et frisés, ses yeux verdâtres et sa figure fermement coupée d’une moustache. C’est comme ça qu’il se présente à la postérité et non pas en courant après des rats!
Joe et Susannah ont aimé, eux aussi, une petite histoire. Laquelle? Vous êtes curieux de l’apprendre, bien entendu.
Eh bien, ils ont choisi celle avec les messagers turcs et leurs turbans. Et là, stupeur!!! Les deux historiens de National Geographic ont la naïveté de faire confiance à une légende!
C’est une bizarre manière de démythifier en faisant appel au... mythe!
De quoi il s’agit?
La légende dit que des messagers turcs se présentèrent au prince Vlad l’Empaleur et que le prince leur demanda d’ôter leurs turbans. Les Turcs en refusent, en invoquant la coutume de leur pays qui leur interdit de le faire. Le prince les fixe instamment de ses yeux verdâtres et fait clouer les turbans aux têtes pour que la coutume turque soit bel et bien respectée.
Joe et Susannah en sont indignés, bien que ce ne soit qu’une légende.
Premièrement, il est impossible de localiser temporellement cette légende, attendu que Vlad a été toul le temps soucieux de ne pas éveiller de soupçons au sultan. C’était inutile et idiot! Insulter ou maltraiter les messagers aurait été une grave faute or, lui, il était trop intelligent pour la faire.
Et puis il avait une trop haute conception de ce qu’être prince voulait dire pour faire l’erreur de maltraiter les messagers!
La plupart de ces histoires ont été inventées ou bien mises à point par les Saxons, les ennemis du prince depuis toujours. Ils ont pu facilement répandre ces histoires grâce à l’impression inventée par Gutenberg juste au XV-è siècle. De leurs libelles illustrés, toute l’Europe a pu apprendre que Vlad passait son temps à faire interminablement aveugler, bouillir, brûler, clouer, écorcher vif, enterrer vivant, mutiler et surtout empaler tous ses opposants et les malfaiteurs. Si nous en croyons ce que racontent ces libelles, il y a eu des milliers de personnes empalées!
Eh bien, tous les bois de la Valachie n’y auraient pas suffi!

VI.         Un peu de psychanalyse, s’il vous plaît!

Avant de terminer son documentaire, Joe tente sa chance au domaine de la psychanalyse. Il a des obsessions, Joe, et il veut s’éclaircir. Pour cela, il va en Turquie, mais sans se faire accompagner de Susannah, vu que la question est délicate et il faut la régler d’homme à homme.
Bon, mais quelle est l’obsession de Joe?
Le jeune homme semble être convaincu que Vlad III a fait tuer des milliers et des milliers de personnes. Mais pourquoi les faire empaler? Qu’est-ce qui justifie cette préférence du prince pour le supplice du pal?
C’est ça la question et en voici la réponse. Bon courage!
Un historien turc explique à Joe qu’il y avait en Turquie beaucoup d’homosexuels et il conclut que Vlad III aurait été sodomisé pendant sa jeunesse qu’il avait passée chez les Ottomans, où il avait été envoyé comme otage, avec son frère cadet, Radu. Il nous fait remémorer que le pal pénétrait le corps humain par l’anus et en sortait par la poitrine, mais sans atteindre les organes vitaux: le cœur et le foie, pour que la mort soit lente.
Cher lecteur, si tout cela avait été dit dans un contexte psychanalytique et à la fin d’une analyse un peu plus complexe et plus objective, l’ensemble aurait été, peut-être, digérable; mais ajouter encore une misère à une kyrielle déjà trop longue de misères, c’est insupportable; ça tourne le sang. C’est le comble de la démythification!
Ce qu’ils sont culs!
Je pense qu’après tout ce qu’ils nous ont fait entendre, il est grand temps maintenant que Joe et Susannah nous tirent leur révérence; ça suffit.
Mais le récit de Vlad l’Empaleur continue.

VII.   LA FIN – Vin versé, il faut le boire

Après 12 ans de captivité, Vlad III est libéré à la prière d’Etienne le Grand de Moldavie, qui avait besoin d’être secouru dans le combat antiottoman. Pour l’instant, Etienne le Grand est vaincu à Valea Albă par Mehmet II le Conquérant,  mais Vlad l’Empaleur et Etienne Bathory de Transylvanie entrent en Moldavie et aident le prince à chasser les Turcs du pays.
Après, Etienne le Grand et Etienne Bathory remettent Vlad III sur le trône de la Valachie. Mais celui qui revient en Valachie après une aussi longue absence n’est plus le prince audacieux et vainqueur que nous avons connu, mais un vrai martyr de la cause antiottomane. Il n’a plus ses troupes fidèles et les nobles ne l’aiment pas et craignent sa sévérité. Il demande à Etienne le Grand de mettre à son service des soldats moldaves, parce qu’il ne peut plus faire confiance aux Valaques. Au bout de quelques semaines, son rival, Basarab Laiotă, de la famille des Dănescu, revient à la tête d’une armée turque; surpris par cette attaque, Vlad l’Empaleur est tué au mois de décembre 1476.
“Mourut alors, encore jeune, lorsqu’il devait compter dans les 45 berges, l’un des princes les plus extraordinaires que les Pricipautés roumaines aient jamais eus et sa personne fut jugée de toutes les manières, ce qui enfanta, au cours des siècles, tout une kyrielle d’histoires, légendes, romans, qui finirent par déformer du tout au tout sa personnalité." (N. Djuvara, 2010, p.79-80)
On suppose que ses cendres reposent au monastère de Comana, au milieu de ce peuple roumain qu’il a tant aimé.

                                                         ***

Nous avons appris que, depuis quelque temps, à Hollywood, Brad Pitt produisait, via sa compagnie, Plan B, un film historique et biographique, intitulé Vlad the Impaler.  Ce film est budgété à 85 millions de dollars. Pitt a déjà changé de scénariste et vient d’engager James Gray pour la réalisation et le scénario. On n'est pas encore certain de l’acteur qui va interpréter le rôle principal, mais les sources les plus crédibles indiquent Christian Bale comme Vlad l’Empaleur. Quant à moi, je crois que les meilleurs Vlad de Hollywood seraient Christian Bale, Johnny Depp ou - pourquoi pas? - Brad Pitt.
Il me tarde de voir ce film et j’espère que ce sera un peu plus proche de la vérité historique que le documentaire de Joe et de Susannah.