Bohemian
Rhapsody ou Aimez-vous Queen?
Viens, mon
beau chat, sur mon cœur amoureux;
Retiens
les griffes de ta patte,
Et
laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés
de métal et d'agate (Charles
Baudelaire)
En 2010, Brian May, le guitariste de
Queen, révélait déjà à la BBC qu'un film allait être consacré à cette formation
et à Freddie Mercury, le chanteur légendaire du groupe, celui qui, en 2009,
avait été élu <<ultime dieu du rock>> par OnePoll - un institut de
sondage britannique - sur une liste des 4000 plus grands chanteurs, ayant
devancé Elvis Presley de quelques voix.
Pour le rôle de Freddie Mercury
était envisagé le comédien Sacha Baron Cohen, déjà séduit par l'idée du film:
<<Si Sacha n'avait pas insisté encore et encore, nous n'en serions pas
là. Nous ne l'avons pas choisi. Il nous a choisis>>, avouait avec
enthousiasme Brian May.
Mais rien n'annonçait à ce moment-là
la gestation si longue et difficile de ce film, si lente qu'on eût cru que le
long métrage ne sortirait jamais, attendu que les accoucheurs n'arrivaient pas
à se mettre d'accord sur les détails...
Brian May et Roger Taylor, le
batteur du groupe, ont constitué la société Queen Films pour pouvoir être
associés à la production et la superviser. C'est malheureux, parce que ça
voulait dire que nul réalisateur n'aurait les mains libres et que le film
serait dépourvu d'un fil conducteur et d'une vision d'ensemble, quelque outrée
qu'elle soit, mais assumée.
Le cinéaste pressenti fut Dexter
Fletcher. Lui tout comme Sacha Baron Cohen, de même qu'une partie du public
envisageaient un film extravagant et étoffé, en accord avec la personnalité
très riche, imprévisible et dionysiaque de Freddie Mercury. Un film plutôt pour
adultes; de toute façon interdit aux moins de 14-16 ans, alors que les deux
Queen escomptaient un film tous publics. Malheureusement, ce sont eux qui ont
eu le dernier mot. Ce qui en résulta fut un film monotone, naïf, édulcoré, sans
Baron Cohen et Dexter Fletcher qui renoncèrent au projet pour ne pas se mêler à
<<ce biopic trop lisse sur Freddie Mercury>>, qui <<frise
l'hagiographie.>> (Télérama)
Mais la presse Outre-Atlantique
n'eut pas tant d'humour et décréta que <<ce film n'aurait jamais dû exister.>>
Quant à moi, je préfère le fini à
l'inéxistant, vu que toute chose, aussi mauvaise qu'elle soit, cache dans ses
entrailles quelque chose de bon, un brin de vérité, un peu d'émotion.
Malgré tout, le film fut tourné et
devint le quatrième plus gros succès de la 20th Century Fox après Avatar (2009) de James Cameron, avec 2
787 965 000 dollars de recettes, Titanic
(1997), du même réalisateur, avec 2 186 772 000 dollars et Star Wars I (1999) de George Lucas avec, au box-office, 1 027 044
000 dollars.
Sorti en 2018 et réalisé par Bryan
Singer, Bohemian Rhapsody a eu 903
655 000 dollars de recettes.
Mais ce film ne se vante pas
seulement du succès commercial, il a reçu
également bien des récompenses en 2019:
-
l'Oscar du meilleur acteur pour Rami Malek, l'interprète de Freddie Mercury
-
l'Oscar du meilleur montage pour John Ottman
-
l'Oscar du meilleur montage de son pour John Warhurst et Nina Harstone
-
l'Oscar du meilleur mixage de son
-
le Golden Globe du meilleur film dramatique
-
le Golden Globe du meilleur acteur
-
le BAFTA du meilleur acteur
-
le BAFTA du meilleur son
et
pas mal de nominations:
-
à l'Oscar du meilleur film
-
au BAFTA du meilleur film britannique
-
au BAFTA du meilleur montage
-
au BAFTA des meilleurs costumes.
Alors, par où commencer?
FREDDIE ET SA
FAMILLE
L'action du film commence en 1970, à Londres, lorsque
Freddie Mercury, de son vrai nom Farrokh Bulsara, avait 24 ans. De ses
premières années de vie, on nous parle, par une analepse, lors d'une réunion de
famille dans la maison des Bulsara et c'est ainsi qu'on nous fait savoir qu'il
est né dans le protectorat britannique de Zanzibar (un archipel dans l'Océan
Indien, faisant partie de nos jours de la Tanzanie) et que ses parents étaient
originaires de l'Etat indien du Gujarat, mais de religion zoroastrienne, vu que
leurs ancêtres perses vivaient sur le territoire correspondant aujourd'hui à
l'Iran. C'est la conquête arabo-islamique qui les en avait chassés. Ses parents
étant des fonctionnaires britanniques, le futur Freddie Mercury commence son
éducation à la St. Peter's Boys School, une école-internat très réputée. Le
biopic nous apprend qu'ici Freddie a pratiqué la boxe, a pris des cours de
piano et a constitué son premier groupe de musique. D'autres sources nous
disent qu'il était très bon élève, même brillant, très doué pour le dessin, le
sport, la musique (il chantait Ȏ sole mio)
et qu'il aimait jouer du théâtre, surtout des rôles féminins, travesti. En 1963
éclate la révolution qui allait apporter à Zanzibar l'indépendance et en 1964
les Bulsara, en tant que fonctionnaires britanniques, doivent déserter l'île
d'Unguja pour s'établir en Angleterre lorsque Freddie devait avoir dans les 18
ans.
À Londres, Freddie fait des études
d'art, mais sans passer son diplôme de fin d'études. D'ailleurs, il avait trop
de tempérament pour un graphiste, il était un dionysiaque et donc né pour faire
de la musique. Monserrat Caballé (1933-2018) appréciait que, s'il avait été
chanteur d'opéra, il eût pu chanter comme ténor et baryton à la fois.
LA NAISSANCE DU
GROUPE QUEEN
Le film commence avec Freddie en
quête d'un groupe de musique qui le prenne pour soliste. Il avait déjà été le
chanteur du groupe Ibex, devenu Wreckage (Naufrage) à sa suggestion, et Sour Milk Sea. Maintenant il fait la
cour au groupe Smile formé de Brian
May (guitariste) et Roger Taylor (batteur) qui avaient été délaissés par leur
soliste que Freddie connaissait. Il intègre le groupe en 1970 et le bassiste
John Deacon les rejoint en 1971. Tous quatre feront Queen, mais ce nom fut choisi par Freddie Mercury. Cela devait être
très à son goût, parce que très irrévérencieux, choquant et puis dans l'argot
britannique queen signifie...
<<homosexuel>>.
Mais qui sont-ils ces quatre mecs
dont la légende nous parle?
Brian May est un auteur-compositeur
et astrophysicien. Il a composé beaucoup de tubes de succès de Queen tels que: We will rock you, Save me, Now I'm here, The
show must go on.
Le batteur Roger Taylor est lui
aussi un auteur-compositeur qui a fait des études de médecine pour devenir
dentiste, mais il plaqua l'idée pour décrocher finalement une licence en
biologie. C'est lui qui a composé les fameux tubes Radio Ga Ga, A Kind of Magic ou I'm
in love with my car.
John Deacon est un auteur-compositeur
et diplômé en électronique. On lui doit les extraordinaires tubes I want to break free, Another one bites the
dust, You're my best friend. Père de six enfants, il se retire de la vie
publique en 1997. Il a beaucoup aimé et apprécié Freddie.
Freddie Mercury - auteur-compositeur
de Bohemian Rhapsody, Love of my Life,
Don't stop me now, Somebody to love, We are the Champions est
<<l'Edith Piaf des années '80>>, comme on le définit dans un film
documentaire.
En tant que graphiste, Freddie a
dessiné le logotype du groupe, dont on fait état dans le film, connu sous le
nom de Queen Crest: au milieu il y a
un Q majuscule encadré de symboles
évoquant les signes zodiacaux des quatre membres du groupe: deux Lions - Roger
Taylor et John Deacon - , un Cancer - Brian May - et une Vierge - Freddie
Mercury.
Le groupe Queen a vendu 300 millions
d'albums au monde entier. Selon un sondage d'opinion commandé en 2007 par la
BBC, Queen est <<le meilleur groupe britannique de tous les
temps.>>
La complexité de leur musique est
due à leur riche formation, à leur amour de la musique et à la complexité de
leurs études. L'un d'eux affirme dans le film: <<Personne ne sait ce que
Queen veut dire, vu que Queen signifie plusieurs choses à la fois.>> Et
c'est vrai. Leur musique est comme une fontaine: on en voit la surface limpide,
mais jamais le fond. Leur musique est faite de clartés et de ténèbres.
Et, Freddie Mercury, celui du film,
d'arguer:
<< Nous sommes quatre
inadaptés... (...) qui chantent pour d'autres inadaptés, pour les proscrits du
fond de la salle.>>
LOVE OF MY LIFE
C'est toujours en 1970-1971 qu'il rencontre Mary
Austin (Lucy Boyton), la femme de sa vie. Elle était vendeuse dans une boutique
de vêtements et la petite amie de Brian May lorsque Freddie l'a connue.
Heureusement la relation avec Brian n'était pas sérieuse et Freddie a pu le
remplacer sans tapage. Elle fut la femme qui sut se faire aimer par un
homosexuel, tout en ayant le mérite de l'avoir compris et soulagé. Le film
réussit à nous dire quelque chose de son amour malheureux et contrarié, plein
de patience et de compréhension, mais il faut avouer que les documentaires et
les interviews disent plus que le film ne le fait.
Dans une interview, elle a avoué
qu'il avait été un soulagement d'apprendre justement de Freddie qu'il était gay et qu'elle avait
senti tout le temps qu'il avait besoin d'être accepté et aimé tel qu'il était:
un homosexuel, un génie nerveux, une star capricieuse, un dionysiaque. Ce
qu'elle a réussi à faire. Son aveu m'a vraiment saisie, vu qu'en général les
amours sont égoïstes; on voit dans l'autre rien qu'un partenaire, il n'est pas
envisagé avec ses attentes, ses rêves, ses idéaux, sa capacité, la vie qu'il
aurait voulu se faire...
Quelle femme extraordinaire, Mary
Austin! Dans une autre interview elle raconte qu'elle avait prié Freddie de lui
faire un enfant et que celui-là a refusé en disant qu'il ne pouvait plus faire
l'amour avec une femme, qu'il ne voulait pas d'enfant, plutôt se procurer
encore un chat... Dans le film de Bryan
Singer, on nous fait apprendre que Mary était enceinte en 1985, avant le
concert Live Aid. Ce n'est pas vrai. C'est une licence cinématographique,
d'accord, mais nous devons préciser que c'est à peine en 1990 qu'elle rencontre
le peintre Piers Cameron qui lui fera deux enfants et que Freddie a eu juste le
temps de devenir le parrain de l'aîné, avant de mourir.
Quelle femme extraordinaire! Elle a
valu tout l'amour et toute la reconnaissance de Freddie Mercury, qui lui a
légué sa maison du quartier de Kensington, un pourcentage sur les futures
ventes de ses disques et la moitié de sa fortune, après avoir légué 500 000
livres à son amant et coiffeur, Jim Hutton, et autant de livres à son cuisinier
et à son assistant à domicile. Le reste de sa fortune a été partagé entre Mary
et sa famille.
LES CHATS
Ce film est plein de chats. Et pour cause. La vie et
les maisons de Freddie furent peuplées de chats: chats noirs, chats blancs,
chats gris. Chats sages ou espiègles, ils furent ses compagnons qu'il dorlota
tout le long de sa vie. Parce que Freddie ressemblait aux chats et les chats à
Freddie.
Les chats sont des créatures solitaires et
mystérieuses, mais qui savent apprécier la bonne compagnie, dont ils n'ont pas
absolument besoin. Ils peuvent s'en passer volontiers. Ils vous laissent les
caresser tandis qu'ils pensent avoir d'autres choses à faire. Freddie, lui, il
avait besoin d'un groupe, de sa famille, d'une femme qui l'aime et le
comprenne, de salles qui l'acclament, mais, en même temps, il avait sa vie à
lui, sulfureuse, ténébreuse, avec des fêtes orgiaques et beaucoup d'amants et
de cocaïne. Une vie qui permettait de mettre en place toutes les fantaisies du
monde! C'était la liberté absolue des chats, ces créatures <<dont
l'humeur est vagabonde>>. C'était la vie sans limites, sa vie même, dont
nous nous doutons, mais dont ce film ne nous parle aucunement, en nous laissant
sur notre soif. Et puis les chats de ce film sont trop sages, trop simples
éléments de décor, trop dépourvus de spontanéité, alors que les chats, tels que
Freddie aimait, sont pleins de vie, imprévisibles et pleins de personnalité.
FREDDIE MERCURY
ET RAMI MALEK
Après le refus de Sacha Baron Cohen de jouer dans un
film qui ne répondait pas à ses attentes, la meilleure variante de Freddie
Mercury fut considérée Rami Malek, l'acteur qui s'est adjugé tous les grands
prix: l'Oscar, le Golden Globe, le BAFTA. Je regrette ouvertement l'absence de
Baron Cohen de ce film. Il est vrai qu'avec lui le biopic eût été tout autre,
un film fellinien qui aurait également rendu compte de l'autre Freddie Mercury,
<<le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé>>, dont le <<front
est rouge encor du baiser de la Reine>>, portant <<le Soleil noir de la Mélancolie>>, ce Freddie Mercury qui avait <<deux fois
vainqueur traversé l'Achéron:/Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée/Les
soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.>> (Gérard de Nerval)
C'est ce Freddie Mercury que j'ai
désespérément cherché dans ce film sans l'avoir nulle part trouvé. Sacha Baron
Cohen aurait offert une version de Freddie Mercury. Rami Malek n'est qu'un
sosie. Le sosie parfait, il est vrai, mais rien qu'un sosie.
Mais la manière dont Rami Malek
s'approprie rationnellement la personnalité d'autrui est remarquable. Entre la
vie de Mercury et celle de Malek il y a des similitudes. Ils sont nés tous les
deux de couples d'immigrants. Les parents de Malek, né le 12 mai 1981, à Los
Angeles, viennent d'Egypte. Mercury et Malek ne sont pas protestants comme la
plupart des Anglais et des Américains. Malek fut élevé dans la religion copte
orthodoxe. Pour tous les deux, le succès fut un peu long à venir. Après ses
études universitaires, Malek travailla comme livreur de pizzas, ayant du mal à
trouver des rôles, alors que Freddie, y compris celui du film, avant de finir
ses études, travaillait comme ouvrier à l'aéroport.
Avant de percer dans Bohemian Rhapsody, Malek s'était déjà
fait connaître par la série Mr. Robot
(2015), où il a eu le premier rôle.
BOHEMIAN RHAPSODY
Le film fait état des tournées que
le groupe a eues aux Etats-Unis pendant les années 1974-1975: Detroit,
Cleveland, Atlanta, Memphis, Denver, Pittsburg, New York, New Orleans, Houston,
Boston - <<rien n'est plus spectaculaire que l'Amérique>>, conclut
un membre du groupe: c'est leur premier grand succès, c'est la confirmation de
leur talent!
De retour en Angleterre, ils vont
travailler dans un endroit isolé, une sorte de ferme, où Freddie Mercury
compose Bohemian Rhapsody - une œuvre
d'une complexité étonnante, apparemment capricieuse, sans ligne directrice ni
refrain, où Freddie met toute sa force, toute sa souffrance; on a l'impression
qu'il ressent son propre corps comme un
cachot et que, par les notes de cette chanson, il essaye de s'en évader, de
rompre avec le passé, de s'assumer une nouvelle identité. Il a voulu tout faire
entrer dans cette œuvre. C'est le point de rencontre de <<Shakespeare
avec la tragédie grecque>>, tandis qu'au-dessus flotte <<la joie
sans limites du théâtre lyrique>>. Par cette composition, Freddie romp
les barrières de son corps et celles du rock. C'est Bohemian Rhapsody, c'est-à-dire <<la Rhapsodie
sauvage>>, <<que nul ne peut apprivoiser>> qui <<n'a
jamais, jamais connu de loi>>, qui s'échappe à tout contrôle, à toute
règle et que le producteur d'EMI n'aime pas, parce que trop longue, et Freddie
lui lance une sorte de <<Gare à toi!>> avant de casser les vitres
de son bureau.
Bohemian
Rhapsody (1975), qui fait partie de l'album A Night at the Opera, fut le seul single à avoir été deux fois
premier des classements du Royaume-Uni: lors de sa sortie, le tube demeure
premier des classements durant neuf semaines d'affilée et lors de sa réédition
de 1991, après la mort de Freddie Mercury, encore cinq semaines. En 2002, il se
trouvera en première place du sondage Guinness Hit Singles, désignant le
meilleur single britannique de tous les temps.
La vidéo de Bohemian Rhapsody s'ouvre par une image qui évoque l'effigie de
Marlene Dietrich, cette bisexuelle célèbre à laquelle ce film rend hommage par
une affiche collée à un mur, dans une rue fréquentée par Freddie.
SUIS-JE GAY?
Le film insiste - et pour cause -
sur l'homosexualité de Freddie Mercury et sur l'homosexualité en général, en
mettant un accent aigu sur le besoin si grand, si intense de ces hommes de se
faire accepter; par eux-mêmes et par les autres. Dans Bohemian Rhapsody, le chanteur dit à un moment donné:
<<Quelquefois je voudrais n'avoir jamais été né.>>
Paul Prenter, le premier assistant
de Freddie, celui qui l'embrasse si passionnément sur les lèvres pendant qu'il
enregistre La Rhapsodie bohémienne,
lui avoue une fois, en voiture:
<<Je crois que mon père aurait
voulu que je meure que d'être ce que je suis.>>
Ils sont tous les deux sur la
banquette arrière, évoquant <<les proscrits du fond de la salle.>>
Freddie a, lui aussi, des relations
difficiles avec son père. Ce sont les pères qui souffrent davantage lorsqu'ils
devinent l'orientation sexuelle <<à l'inverse>> des fils. C'est
comme si toute leur descendance était menacée.
Le réalisateur Bryan Singer essaye
de présenter le monde homosexuel sous un nouveau jour: Freddie présente son
amant à ses parents et son père l'accepte. Au concert Live Aid participent
Mary, le mari de celle-ci et Jim, l'amant de Freddie; ils sont ensemble et ont
l'air bons amis.
Ecoutez: c'est un peu trop
idyllique, sinon idiot. Et ce n'est pas la faute au réalisateur, plutôt au
scénariste - Anthony Mc Carten. En réalité, nous savons que Mary était jalouse.
Même à l'enterrement de Freddie, elle refuse à Jim une place de choix, dans la
première voiture du cortège. Elle n'a pas réussi à lui pardonner d'avoir été
préféré, d'avoir été le vrai et dernier compagnon de Freddie Mercury!
Au lieu d'enchaîner de telles scènes pénibles, le
réalisateur et le scénariste auraient pu se pencher sur la relation de Freddie
et de Jim Hutton pour aider vraiment le public à pouvoir avoir de la sympathie
ou au moins tolérer ce genre de relations. Ils auraient pu faire leurs choux gras
du livre Mercury and Me, écrit par
Jim Hutton sur les sept ans passés avec Freddie, à l'instar de Scott Thorson,
le chauffeur et l'amant du pianiste de music-hall Valentino Liberace
(1919-1987). Leur histoire d'amour fut adaptée par le réalisateur Steven
Soderberg, dans Behind the Candelabra (Ma
vie avec Liberace), sorti en 2013, et ce film s'appuie vraiment sur le
livre de Scott Thorson.
Jim nous dit des choses vraiment
piquantes sur Freddie Mercury. Le chanteur avait le trac avant de monter sur scène,
<<un vrai paquet de nerfs>>. Sa relation avec la star a été
mouvementée. Freddie avait trop de tempérament pour qu'on puisse filer avec lui
le parfait amour. <<On ne se battait pas, c'était juste des combats
verbaux>>, nous assure Jim.
Joli, non?
LA BACCHANALE
Freddie Mercury était l'homme à
travailler ferme et à se divertir ferme!
<<J'aime faire de chaque
chanson une performance>>, dit Freddie, et c'est vrai; il était un
perfectionniste.
En 1976, Freddie s'achète un grand
appartement au 12, Stattford Terrace, à Kensington, le quartier le plus luxueux
de Londres, réservé à la haute bourgeoisie. Il s'embourgeoise, il est cousu
d'or, mais reste un bohème et n'oublie pas Mary Austin, en lui achetant un
appartement à proximité.
Au 12, Stattford Terrace, les fêtes
n'ont pas de cesse. Elles sont noyées dans de la vodka et du whisky, les
convives sont pour la plupart travestis et presque personne ne refuse le sexe
et la cocaïne. La démesure y est reine. Un participant à une de ces
bacchanales, que j'ai croisé par le biais d'un documentaire, avoue se croire
voué aux affres de l'enfer pour y avoir été une seule nuit. Vous comprenez?!
Freddie aimait les éclairs. Nous l'avons vu maintes fois habillé de vêtements
sur lesquels zigzaguaient des éclairs. Cet homme était un éclair: il était
brillant, séducteur, mais son approche pouvait être dangereuse. Il a vécu under pressure et nous avertit par une
chanson que my love is dangerous:
<<Je suis quelqu'un qui aime
flirter avec les extrêmes. Chacun de nous est un cocktail d'ingrédients
divers>> disait-il et c'est vrai.
Que reste-t-il dans ce film de cet
univers dionysiaque et sulfureux où <<je est un autre>>, illuminé
seulement par des éclairs?
Eh bien, rien!
Comment ça, rien?! Pourtant une
scène nous en parle...
Oui, et elle le fait mal, étant
pénible, fausse et dépourvue de fantaisie: Freddie y apparaît dans un manteau
écarlate, bordé d'hermine, ayant sur la tête une réplique parfaite de la
couronne royale britannique. C'est presque blasphématoire!
Il est vrai, Freddie apparaît
costumé de cette manière en 1986, au stade de Wembley, lors d'un concert sur
deux soirées, à guichets fermés, afin de promouvoir l'album A Kind of Magic. Mais c'est tout à fait
autre chose, c'est sur scène et il n'y a rien de vulgaire! Les auteurs du film
ont copié la scène et l'ont copiée mal, en la plaçant maladroitement. La
fantaisie leur a fait défaut.
Mais la scène la plus pénible de la
bacchanale ratée du film est celle où les trois autres membres de la formation
Queen, présents à la fête avec leurs femmes, se lèvent sans aucune raison
sensible dégoûtés et s'en vont! Mais les perles jetées devant les invités
n'étaient pas pour eux! Les perles étaient pour les dionysiaques capables de se
baisser humblement pour les ramasser et les apprécier. Sacha Baron Cohen avait
raison quand il a affirmé que Brian May et Roger Taylor avaient voulu se
présenter sous un jour très favorable, au détriment de Freddie: la scène se
veut moralisatrice, mais tout ce qu'elle réussit n'est qu' à être pénible.
LA PETITE VILLE
DE MONTREUX - LA GRANDE ABSENTE DE CE FILM
En 1977, Queen sort l'album News of the World, avec les tubes très aimés We are the Champions (Freddie Mercury) et We will rock you (Brian May), qui finissent numéro 1 aux
Etats-Unis.
En 1978, les membres du groupe
arrivent pour la première fois à Montreux, en Suisse, enregistrer aux Mountain
Studios l'album Jazz. A partir d'ici,
leur vie se déroulera entre Londres et Montreux. Entre Freddie et la ville de
Montreux, il n'y a pas de coup de foudre. Bien au contraire: Freddie la trouve
monotone et ennuyeuse et rien ne fait pressentir le grand amour qui les unira
pour l'éternité. Montreux a su attendre.
De grands moments de la vie de Freddie
Mercury et de Queen ont eu lieu à Montreux. Eh bien, qu'est-ce qui passe dans
ce film de tout ce qu'ils ont vécu là?
Rien! Absolument rien! Montreux n'y
est pas mentionné! C'est une honte! Aucune image de cette ville ni du lac
Léman, avec ses mouettes et ses cygnes que Freddie aimait tant vers la fin de
sa vie, sachant bien qu'il n'allait plus les voir n'entre dans ce film!
En 1981, a lieu à Montreux la
rencontre des deux titans, Freddie Mercury (1946-1991) et David Bowie
(1947-2016), qui créent et enregistrent le fameux Under Pressure qui sort en 1982.
En 1991, quand Freddie filait depuis
quatre ans du mauvais coton, le groupe enregistre à Montreux l'album Made in Heaven, qui sortira après la
mort de Mercury, en 1995. L'album renferme la dernière chanson écrite par
Freddie - A Winter's Tale. Ce fut sa
manière de rendre hommage à cette ville tranquille... C'est ainsi qu'il entra
dans la légende, porté au sombre bord par les eaux du lac Léman.
Cinq ans après sa mort, le 21
novembre 1996, (Freddie est décédé le 24 novembre) une statue à la mémoire du
chanteur, située face au lac, sculptée par Irena Sedleckà, est inaugurée à
Montreux, en présence de Montserrat Caballé, Maurice Béjart, Brian May, Roger
Taylor et Claude Nobs, le fondateur et directeur du Festival de jazz de
Montreux.
A-T-IL ÉTÉ UNE
RUPTURE?
En 1981, Queen soutient un concert
en Argentine, au stade Amalfitani de Buenos Aires. Ce fut un grand succès:
<<Maradona nous a rejoints sur scène>>, se souvient avec
enthousiasme Brian May... Le réel Brian May, celui dont les journaux nous
parlent. Quant à May du film, il n'en souffle pas mot, laissant l'événement d'Amalfitani s'effacer dans la nuit des temps.
Le personnage de May, le réalisateur
Bryan Singer et surtout le scénariste Anthony Mc Carten ne soufflent pas mot,
non plus, de la tournée en Afrique du Sud, pays pratiquant à l'époque
l'apartheid, que les Queen ont entreprise en 1984 pour donner justement neuf
concerts, en violant délibérément un embargo culturel des Nations Unies!
Mais le film fait grand état de la
décision de Mercury, prise toujours en 1984, de se rendre à Munich avec Paul
Prenter, son assistant, afin d'enregistrer
son premier album solo, chez CBS Records, pour 4 millions de dollars! Freddie
allait les quitter. Les membres du groupe sont sidérés!
Eh bien, ils n'avaient pas de quoi.
Freddie n'est pas le premier du groupe à avoir commencé une carrière solo.
C'est Roger Taylor qui l'avait déjà fait en 1981 avec l'album Fun in space. Et puis, en 1984, ils
avaient pris, de commun accord, la décision de faire une pause, de prendre
congé les uns des autres pour quelque temps...
Le fruit de cette expérience de
Munich est l'album Mr. Bad Guy, sorti
en 1985, qui aura un disque d'or, mais le public n'est pas au rendez-vous et
l'album ne rencontrera pas le succès commercial escompté. Et pourtant les
chansons qui s'y trouvent ne sont pas du tout mal, elles sont très Freddie
Mercury, surtout Living on my own, Love
me like there's no tomorrow ou bien My
love is dangerous.
Une bêtise jouissant de beaucoup de
place dans le film et qui arrive même à fausser la personnalité de Freddie
Mercury repose sur l'idée que l'assistant Paul Prenter eût isolé complètement
la star, se faisant finalement renvoyer pour ne lui avoir pas parlé du concert
Live Aid!!!
Vous imaginez?!? Freddie Mercury
pris pour un enfant et traité de la sorte! Et puis ce n'est pas vrai! Paul
Prenter sera mis à la porte, mais deux années plus tard, en 1987, après une
fête qu'il avait donnée et qui avait laissé la maison de Freddie en pagaïe...Ce
fut la goutte qui fit déverser le vase. Et puis, Fredie était déjà fatigué, en
1987 il allait apprendre qu'il avait le sida, il n'en pouvait plus et Prenter
fut licencié. C'est la variante officielle... Nous croyons que Freddie Mercury
l'avait congédié parce qu'il savait trop de détails sur sa vie. L'interview
qu'il donnera après trouve sa place dans le long métrage. Prenter arrondit
<<le petit tas de secrets>>, mais le réalisateur s'avère être de
nouveau <<pudique>> et le film omet les vérités cruelles que
l'interview a livrées: deux amants de Freddie Mercury étaient déjà morts du
sida. Ajoutons que Prenter lui-même sera mort du sida en 1991, trois mois avant
Freddie. Même Jim Hutton qui sera le compagnon de Freddie dès 1980 mourra du
sida en 2010. Il y a là l'endroit et
l'envers de leur passion.
***
On parle un peu dans ce biopic d'une
tournée du groupe en Amérique du Sud: c'est le festival Rock in Rio de 1985 qui
a réuni un public de 325 000 personnes. Les quatre Queen ouvrent le festival le
12 janvier et toujours eux jouent pour le clore, le 19.
L'événement le plus marquant, choisi
pour clore ce film fut le concert humanitaire
Live Aid, donné le 13 juillet 1985 conjointement à Londres, au Stade
d'Wembley, et à Philadelphie, au John F. Kennedy Stadium, pour soulager la
famine en Afrique. Au Wembley Stadium, Queen joua à côté de David Bowie, Paul
Mc Cartney, Dire Straits, Phil Collins, Led Zeppelin, Duran Duran.
La prestation de vingt et une minute
du groupe Queen a été remarquable. Freddie Mercury a volé la vedette à tous et
a fait main basse sur le stade: 72 000 spectateurs n'arrêtaient pas de chanter
et de taper dans les mains.
Et, le grand David Bowie de
conclure:
<<C'était vraiment un homme
capable de tenir l'assistance dans le creux de sa main.>>
Le moment final du long métrage de
Bryan Singer est très réussi. Tous les acteurs sont à la hauteur et brûlent les
planches. Rami Malek ne chante pas. Ce qu'on entend, c'est soit la voix de
Mercury, soit celle de Marc Martel, un chanteur canadien, qui s'est fait
remarquer comme le sosie vocal de Freddie.
CE QUE LE FILM
NE DIT PAS ET C'EST DOMMAGE
En 1983, Freddie Mercury assiste au Royal Opera House
à Un Ballo in masquera de Verdi,
qu'il aimait beaucoup, son opéra favori étant Il Trovatore. En 1987, l'année où il connaissait déjà le nom de la
maladie maligne dont il souffrait, les autorités de Barcelone l'ont contacté
pour lui demander d'écrire la chanson officielle des Jeux Olympiques prévus
pour 1992. Il a accepté et a sollicité Montserrat Caballé de chanter avec lui Barcelone. Leur concert en duo aura lieu
en 1988. Mais ils se sont rencontrés en privé aussi et on dit qu'elle avait été
séduite...
C'est toujours en 1988 qu'il
rencontre lady Diana à Royal Vauxhall Tavern - un club prisé par les
homosexuels - où la princesse vient déguisée en homme pour s'entretenir avec
lui sans se faire remarquer.
Ce sont des détails de la vie
aventureuse de Freddie Mercury qui eussent enrichi le film, en le rendant plus
passionnant et plus étonnant.
LA FIN DE
L'AVENTURE TERRESTRE
Freddie Mercury savait qu'il avait
le sida dès 1987, l'année où mourut, souffrant de la même maladie, Valentino
Liberace, le pianiste de music-hall. Dans le film de Bryan Singer, Freddie
affirme à un moment donné que <<dans le temps qui me reste encore à
vivre, je veux faire ce que je sais le mieux faire: de la musique!>>
Phrase exceptionnelle, il faut en
convenir, qui fait souvenir du plus célèbre des homosexuels et du plus grand
romancier du monde - Marcel Proust - qui essayait de rattraper le temps perdu par le truchement de
l'écriture, afin de duper la mort. Et il a réussi. Par l'intermédiaire de
l'art, la mort devient éphémère, une simple rivière à passer pour rejoindre les trois arbres et découvrir leur
vérité suprême.
Freddie Mercury s'éteint le 24
novembre 1991, à Londres. Ses obsèques ont lieu à Kensal Green, un cimetière de
l'ouest de Londres, en présence de Montserrat Caballé, Brian May, Roger Taylor,
John Deacon, Mary Austin, Jim Hutton, David Bowie, Phil Collins, Elton John,
Ringo Starr. Il avait demandé que ses funérailles respectent le rite
zoroastrien: donc, il fut incinéré et, tandis que le cercueil en chêne était
englouti par les flammes, la voix enregistrée de Montserrat Caballé entonnait
un air d'Il Trovatore, son opéra
favori.
C'est ainsi qu'il nous quitta. Et
nous avons commencé à apprendre à vivre en regrettant qu'il soit parti si vite,
lui, le dionysiaque, l'homme le plus aimé, le champion de tous les champions
qui aient jamais vécu.
<<Freddie ne pourra jamais
être remplacé>>, allait conclure John Deacon.
(Acest articol a apărut pe situl www. mondesfrancophones.com , la revue mondiale des francophonies, la secțiunile Critiques și Périples des Arts în data de 7 iulie 2019. Anul acesta pe 5 septembrie s-au împlinit 74 de ani de la nașterea lui Freddie Mercury.)
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