L’Usurpation d’identité
Depuis sa sortie en 1982, le film
Le
Retour de Martin Guerre ne cesse de hanter l’esprit des spectateurs.
Son réalisateur, Daniel Vigne, promet “une pure et vraie histoire” qui
“commença par un dimanche doux”, en1542, à Artigat, dans le comté de Foix, au
temps de François I-er.
Aimes-tu les films historiques,
cher lecteur?
Moi, j’en raffole.
Tu seras gagné dès le début par
les décors (Alain Nègre) et la photographie (André Neau) inspirés par les
Bruegel et les frères Le Nain.
Ce qui me plaît dans un film
historique est le récit qui est vrai et animé par des personnages exprimant une
individualité et des passions débridées, renfermées dans un cadre historique
rigoureux, marqué par des événements bien datés, plus ou moins prévisibles, et
travaillées par des mentalités allant à l’encontre des psychologies
individuelles, pour forger ainsi une psychologie collective. C’est tout un
monde qui renaît sous nos yeux curieux, dévorants et émerveillés.
Ce film est une adaptation du
roman de Natalie Zemon Davis – historienne américaine, spécialiste de
l’histoire sociale et culturelle de la France des XVI-è et XVII-è siècles.
En tant qu’historienne, elle s’est inspirée d’un récit écrit au XVI-è siècle
par un grand jurisconsulte, professeur de droit à Toulouse, humaniste et traducteur de Pic de
la Mirandole – Jean de Coras – qui sera personnage dans ce film. Ce magistrat,
admirablement incarné par Roger Planchon, essaie de deviner les mobiles
psychologiques des actions et des silences humains et pense qu’ “il vaudra
mieux pardonner à un coupable que d’accuser un innocent.”
Nous reconnaissons là la
philosophie humaniste de la Renaissance, infiniment différente de la conception
médiévale. Dans ce film, Moyen Age et Renaissance s’entrecroisent et tantôt l’un, tantôt
l’autre arrive à dominer la scène et à imposer ses règles et son profil.
Le scénario du film est signé par
Jean-Claude Carrière - historien de formation (encore un historien), dramaturge
et scénariste, qui a travaillé pour le cinéma avec Luis Buñuel, Louis Malle, Miloš Forman et pour le théâtre avec Peter Brook – et par Daniel
Vigne.
En 1983, à la cérémonie des prix
César, ce film a eu le César du meilleur scénario, du meilleur décor (Alain
Nègre) et de la meilleure musique (Michel Portal).
Lors du tournage de ce film
Daniel Vigne n’était pas à sa dernière aventure historique. Il y reviendra en
2002 avec L’Enfant des Lumières, un feuilleton TV, toujours avec Nathalie
Baye dans le rôle principal, et en 2006
avec Jean
de La Fontaine.
A propos du Retour de Martin Guerre,
nous voulons signaler un remake aussi: le film américain Sommersby (1993) de Jon
Amiel, avec Richard Gere et Jodie Foster, où Jack Sommersby revient dans son
village natal après la Guerre de Sécession.
Mais dans notre film à nous, le
Français Martin Guerre est le fils de Mathurin et de Brigitte qui ont eu cinq
enfants: Martin et quatre filles. Ils sont aisés et exploitent un domaine assez
grand. Martin sera le riche héritier de cette famille, mais sa situation est
plus difficile qu’on ne l’aurait cru: étant le seul garçon de la famille, il
est le seul à pouvoir assurer une descendance. La famille ne pouvait pas
compter sur d’autres frères. Aussi est-il marié si vite, à un âge assez tendre,
pour que l’affaire soit résolue sans faute. Sa promise, belle et jeune,
descend, normalement, d’une famille aisée – les mariages étaient presque toutes
les fois arrangés – et, comme toutes les filles, elle était sexuellement plus
précoce que lui. Le pauvre garçon, pour surcroît de malheur, a eu un père très
autoritaire (“Tant que je suis vivant, ici c’est moi le maître!”), ce qui l’a
presque émasculé. Voilà pourquoi, à l’église, lorsque la mariée prononce la
phrase fameuse “Moi, Bertrande, donne mon cœur à toi, Martin” et ce dernier
répond, selon la coutume, “Je le reçois”, il n’a pas l’air de s’apercevoir de
ce qu’il reçoit. Et quand le curé Dominique (André Chaumeau), en bénissant leur
lit, lui fait savoir, en plaisantant, que “les jardinets s’arrosent la nuit”,
il n’est que gêné. Et les nuits passent et Martin ne parvient toujours pas à
dépuceler sa femme.
L’action du film se déroule sur
deux plans: l’un, linéaire et un autre, remémoratif, reconstitué grâce à la
mémoire de Bertrande de Rols (Nathalie Baye) qui est interrogée par les juges
de Toulouse sur l’imposture d’Arnaud du Tilh (Gérard Depardieu), qui s’était
fait passer pour Martin Guerre (Bernard-Pierre Donnadieu), son époux, vu leur
ressemblance étonnante. Et l’un des juges constate que “ta mère voulait que le
mariage fût rompu.” Mais Bertrande
craint de rompre avec Martin, elle veut garder par-dessus tout sa condition de
femme mariée. On fait appel alors à Jacquemotte (Neige Dolsky), la magicienne
aveugle, pour traîter Martin de ce qu’on appelait à l’époque “le nouement de
l’aiguillette”, mais le maléfice semble perdurer. Dans son livre La
Peur en Occident (XIV-è – XVIII-è siècles) (1978), Jean Delumeau nous
renseigne que surtout au XVI-è et XVII-è siècles, au Sud de la France, il y
avait une vraie psychose collective du nouement de l’aiguillette, que beaucoup
de gens étaient tellement effrayés par ce maléfice qu’ils évitaient de célébrer
publiquement leur mariage à l’église et qu’ils allaient en catimini chez le
curé du village voisin recevoir la bénédiction nuptiale. Même les curés
partageaient cette psychose. Les nôtres
– Bertrande et Martin – se sont mariés publiquement à l’église, mais maintenant
tout le monde craint le nouement de l’aiguillette, même si le maléfice n’est
pas nommé dans le film. A un moment donné y intervient même le curé du village
qui leur applique un rituel que vous
trouverez décrit en détail dans le livre de Delumeau, au chapitre intitulé Aujourd’hui et demain; maléfices et
divination. C’est un rituel envisagé par Jean-Baptiste Thiers, fameux
théologien et ecclésiastique du XVII-è siècle, et cité par Delumeau.
Donc, comment combattre ce
maléfice?
On nous dit dans le livre que le
curé attachait les deux époux à un pilier de sa grange, face à face, le pilier
entre eux, et qu’il se prenait à les fustiger à coups de verges, à maintes
reprises. Puis il les détachait, tout en leur donnant un morceau de pain et un
pot de vin. Le lendemain, le curé constatait que ce rituel avait porté des
fruits.
Tout ce que décrit J.-B. Thiers
dans le livre de Delumeau vous avez pu voir dans le film de Vigne, y compris le
conseil adressé par le curé aux deux époux: “Mettez-vous tous les soirs
possibles à la chose!”
Et les deux “se sont mis à la
chose”. Le résultat?
Bertrande a accouché d’un beau
garçon et elle est maintenant une femme mariée assez contente de sa vie. Seul
Martin est triste; il se sent incompris et toul le temps humilié. Il ne peut
pas oublier ce qui s’est passé lors de la Chandeleur, quand il a servi de tête
de Turc et les jeunes du village ont plaisanté sous les fenêtres de sa maison:
“Bertrande, si tu ne peux pas dormir la nuit, change de mari!” De surcroît, son
père l’humilie et le frappe devant les domestiques et Martin n’en peut plus et
s’en va. Il va faire la guerre, en soldat, sous les drapeaux de n’importe qui.
Son père mourra de chagrin quelques années plus tard et sa mère un an après.
Bertrande va l’attendre “huit ou neuf hivers” jusqu’au jour où quelqu’un disant
être Martin Guerre se présente à Artigat et tout le village le reconnaît comme
tel et se réjouit de le revoir. Quant à lui, il reconnaît lui aussi presque tous les villageois.
Cela dit, si vous lisez/voyez ce film à un seul niveau,
vous n’allez encore rien voir. Je vous propose une lecture à plusieurs niveaux,
où les sens vont s’entrecroiser et se compléter mutuellement. Allons-y, donc!
I.
Le Jeu des Personnages
Quelqu’un qui dit être Martin
Guerre est de retour à Artigat.
Les parents, eux, ils sont tous
contents d’avoir un homme de plus dans la famille. Parce qu’après le départ précipité
de Martin et la mort de Mathurin, son père, la famille ne comprenait que des
femmes et des enfants et était donc “en danger de ne pouvoir exploiter le
domaine”, comme fait valoir Nicole Lemaître, qui, en tant qu’ historienne de la
Renaissance, s’est penchée amoureusement sur les sources historiques de ce beau
film. Voilà pourquoi Pierre Guerre (Maurice Barrier), le frère de Mathurin et
l’oncle de Martin, se marie avec Raymonde de Rols (Rose Thiéry), la mère de
Bertrande “pour assurer cette gestion et éviter la dilapidation des biens.” (N.
Lemaître) D’ailleurs, aux noces de Martin et de Bertrande, Raymonde, veuve à ce
moment-là, lançait des œillades désireuses à Pierre qui semblait être touché…
Aussi tous les parents
reçoivent-ils bien ce prétendu Martin Guerre, en feignant de ne pas observer
que celui-ci n’a pas “les lèvres pendantes” de l’autre Martin; qu’en outre il
est plus costaud – “Ce que tu es devenu fort, Martin!”, s’exclame Bertrande –
et plus audacieux et ils ne s’étonnent pas suffisamment qu’il sache lire et
écrire. Tous les historiens des “Annales d’histoire économique et sociale” qui
se penchèrent sur le Moyen Age, le XVI-è et le XVII-è siècles nous ont appris
que le premier-né ou le garçon unique d’une famille n’avait aucunement besoin
d’apprendre à lire et à écrire - même
les nobles écrivaient avec plein de fautes d’orthographe - attendu qu’il devait savoir uniquement
administrer le domaine qu’il héritait en entier. Pour ce qui est des frères
cadets, eux, ils devaient apprendre… apprendre à lire, à écrire, à guerroyer
pour réussir vraiment à se frayer un chemin dans l’administration ou dans
l’armée. Les sources historiques confirment qu’Arnaud du Tilh était originaire
de Tilh, en Picardie, et qu’il était le cadet d’une famille. Il est parti faire
la guerre en France et en
Espagne et le voici maintenant las de tout ce qu’il a fait et a vu: “L’Espagne,
c’est sec... (...) Paris
est grand et il y a du monde partout.” Pendant ces années de guerre, il se lie
d’amitié avec Martin qui lui parle de sa famille d’Artigat qu’il avait quittée,
de sa femme, Bertrande, de ses parents, de ses domestiques, de villageois.
Comme il est avide d’avoir une famille et un domaine, l’imagination d’Arnaud
s’enflamme et l’aide à graver tout dans sa mémoire. Déjà les Guerre sont
devenus sa famille qu’il aurait aimée et protégée plus que l’autre ne l’avait fait. Qui plus est, Martin aurait dit une fois
à Arnaud qu’il ne voulait plus rentrer. Arnaud évoque cela au procès et l’autre
ne le contredit pas. Quand, revenant de la guerre, il se rencontre avec des
camarades qui le prennent pour Martin, sa décision est prise: il s’acheminera
vers Artigat où essayera de se faire passer pour Martin Guerre.
Pierre et Raymonde, quant à eux, ils se
doutèrent de prime abord qu’il n’était pas Martin Guerre. Mais Raymonde ne
voulait pas gâter le bonheur de sa fille et Pierre était heureux de partager les
responsabilités avec un autre homme. Et puis Arnaud, en opposition avec le vrai
Martin, était communicatif, désinvolte et sympathique; les hommes l’acceptaient
facilement et les femmes, elles, en étaient ravies.
Mais Bertrande? C’est une bonne
question, je crois.
Elle était la première à
s’apercevoir de ce qu’il était ou non le vrai Martin.
Mais Bertrande oscille entre la
vérité et le mensonge et pour cause! Arnaud sait parler, faire des compliments,
en plus, il est virile et ne boude pas à la besogne. Quand le juge
Jean de Coras lui demande carrément: “Ton désir d’homme, il l’a satisfait? Vous
vous êtes aimés?”, elle répond, non sans nostalgie: “Oui.” Bertrande est
parfaitement consciente qu’elle doit à cet homme errant les meilleures années
de sa vie, que son arrivée à Artigat lui a fait connaître les joies du mariage
et la vraie satisfaction, que, sans lui, sa vie aurait été gâtée.
En outre, il a fait ce que
l’autre, le vrai Martin, n’a pas été à même de faire: c’est Arnaud qui a pris soin de la famille, tandis que
l’autre l’a plaquée, c’est Arnaud qui a travaillé les terres, c’est Arnaud qui
a élevé le fils de Martin, Sanxi, qui au procès le reconnaît et l’indique, à
juste titre, comme son père, c’est Arnaud qui a rendu heureuse et qui a
satisfait la femme de Martin, en lui donnant encore deux enfants.
Qui est le vrai père?
Celui qui a abandonné sa famille
et revient, comme par hasard, après douze ans ou l’autre qui a voulu avoir
cette famille et qui a boulonné pour l’entretenir et la voir contente?
Quand, finalement, Arnaud meurt
pendu et brûlé, condamné pour imposture
et usurpation d’identité, les larmes qui jaillissent des yeux de Bertrande sont
des larmes d’amour, de reconnaissance et de regret: c’est tout son bonheur qui
meurt avec lui. Le vrai Martin est là pour la protéger. Il semble avoir l’envie
de le faire. Mais sera-t-il aussi doué que l’autre?
Mais vous me demanderez ce qui
s’était passé et pourquoi ce procès.
Eh bien, après le retour de Martin Guerre qui était en
fait Arnaud du Tilh, l’affaire tournait rond et tout le monde était content. La
faute est à Arnaud, à sa cupidité, à son imprudence, vu sa situation
d’imposteur. En bref, Arnaud demande à Pierre
de lui remettre l’argent – l’argent est mauvais conseiller – pour ce que son
domaine a rapporté durant les neuf années de son absence. La loi est de son côté et il peut réclamer cela. Oui, mais ce
n’est pas sage. Il est normal de demander son droit, mais il n’est pas sage de
réclamer l’oncle Pierre, vu que c’est cet oncle qui a pris soin, tant bien que
mal, de la famille de Martin, une famille qui ne comptait que des femmes et un
enfant se trouvant dans l’incapacité d’exploiter un domaine si vaste que le
leur. C’est l’erreur pratique d’Arnaud qui, s’ajoutant à sa faute morale, va le
perdre. C’est le commencement de la fin.
Pour surcroît de malheur, deux
soldats passent par le village et indiquent le prétendu Martin comme étant
Arnaud du Tilh, dit Pansette. Nicolas (Jean-Claude Perrin), un voisin, se
rappelle, lui aussi, que “Martin” ne l’a pas reconnu. Arrive le cordonnier qui,
par dessus le marché, avoue que la pointure de ce nouveau Martin est plus
petite que la poiture de l’autre! C’est déjà trop!
C’est le moment où Pierre et Raymonde se
mettent à faire la guerre à leurs proches et Raymonde n’est plus la mère de
Bertrande, elle n’a plus rien d’une mère lorsqu’elle travaille contre le
bonheur de sa fille.
Arnaud est accusé d’imposture.
Mais, pour l’instant, il a gain de cause. Le premier procès a lieu à Rieux, où
Arnaud plaide très bien sa cause et les juges condamnent Pierre à lui payer une
grande somme, en dédommagement, pour l’avoir accusé à tort. Cette victoire ne
dure pas.
Le lendemain, Pierre avec son fils Antoine (Dominique
Pinon) et quelques villageois se ruent dans la maison d’Arnaud pourvus d’un
document signé par Bertrande où celle-ci aurait affirmé que l’homme avec lequel
elle vivait n’était pas Martin. Bertrande est là, elle n’avait jamais rien
signé, mais elle n’ose pas contredire son oncle. Elle hésite tout le temps et
oscille entre la vérité et le mensonge. Et pour cause.
Cette fois-ci, Arnaud est arrêté.
Le deuxième procès aura lieu à Toulouse.
II.
Le Jeu de la
Réalité et du Rêve
Bertrande a durant neuf ans
attendu le retour de Martin. Celui qui arrive n’est pas Martin, c’est un
imposteur, mais il est l’homme de sa vie.
Il existe un moment dans le film
où Bertrande raconte à son enfant la légende de Mélusine. Il est impossible que
ce moment soit gratuit.
Comme toute légende, celle de Mélusine est
faite d’éléments réels et fantastiques.
La fée Mélusine fut maudite par
sa mère pour avoir été trop méchante avec son père et incapable de lui
pardonner. Elle la condamna à se transformer tous les samedis en serpente
“au-dessous du nombril”. La fée se maria avec le comte Raymond de Lusignan
(Raymondin), à condition qu’il ne tâchât jamais de la voir le samedi. Ils
eurent dix enfants, tous garçons, dont le premier régna en Chypre.
Mais le frère de Raymond avança
méchamment que chaque samedi Mélusine se voyait avec un autre. Piqué au vif,
Raymondin se précipita à la porte
interdite et vit par la serrure ce qu’il ne devait jamais voir: la femme-serpente.
Il trahira plus tard ce secret, ce qui détruira leur amour: Mélusine sera condamnée à rester à
jamais une femme-serpente et, comme il lui pousse des ailes, elle se jette par la
fenêtre, en poussant un cri de désespoir.
La légende dit que, de temps en
temps, la nuit, sans être vue, elle rentre au château caresser ses enfants.
Désespéré, Raymondin se fit ermite à Montserrat, en Catalogne.
La légende a nombre d’éléments
réels: les Lusignan sont une noble famille française, originaire du Poitou, dont les descendants régnèrent sur Chypre du
XII-è au XV-è siècle.
***
Seule à la maison, Bertrande rêve
à un mari lointain. Celui qui arrive n’est pas son vrai mari, c’est un faux,
mais un faux très réussi, qui dépasse le modèle et prend les proportions d’un
rêve. Pour la vie de Bertrande, le moment Arnaud se constitue dans un rêve: il
est beau, ils s’aiment, ils filent le parfait amour, il est laborieux et
s’occupe du manoir et du domaine. Mais il y a là-dedans un mensonge pour lequel
il faut payer. Tout comme dans la légende, la punition sera terrible.
Et de même que Mélusine, qui
rentrait la nuit au château de Raymondin caresser ses enfants, Bertrande sera
hantée par le souvenir d’Arnaud, qui reviendra chaque nuit à Artigat caresser
ses joues en larmes et la consoler du fait d’être tellement seule. L’arrivée
d’Arnaud dans sa vie fut comme un rêve.
III.
LA FAUTE/ Le
Jeu de la Vérité et du Mensonge
On parle dans ce film d’une faute
morale qui est grande et qui s’appelle usurpation d’identité. L’usurpateur vole
ou veut voler à autrui le nom donc l’identité et par conséquent le passé, les
biens, la famille et surtout l’avenir. L’usurpateur prive l’usurpé de son
avenir, il l’amène dans l’impossibilité de disposer librement de ses pouvoirs,
de ses intentions et de ses décisions. Un usurpateur est quelqu’un qui vole
tout à sa victime. Un usurpateur est un voleur total. Un usurpateur est
quelqu’un de très dangereux qui vaut bien la pendaison et le bûcher. Un usurpateur est un salaud. Surtout au
XXI-è siècle, l’usurpation d’identité est plus fréquente, plus grave et plus
abominable que jamais. Et elle vaudrait bien la potence!
Cela dit, il faut noter que c’est
un mérite du cinéaste de n’avoir pas fait un film à thèse. Non! Bien au
contraire. Le jeu des personnages est complexe et Arnaud, l’usurpateur, a des
circonstances atténuantes sur lesquelles nous n’allons plus insister vu que
nous l’avons déjà fait et… à pleines mains.
Au procès, à Toulouse, fait son apparition le vrai Martin,
qui rentre de la guerre, toujours veule avec en plus une jambe en moins. Il est
incarné par le grand comédien Bernard Donnadieu qui nous a quittés en 2010.
Pour l’instant, j’ai pensé que c’était un acteur un peu trop grand pour un rôle si chétif. Ensuite j’ai compris
l’intention du réalisateur: il voulait donner des chances égales à tous les
personnages, il voulait, par la personne de Donnadieu, imprimer un peu de
dignité à ce malheureux personnage, autrement si méprisable. Il est méprisé,
Martin, du fait qu’il n’a valu ni sa femme, ni le domaine hérité de son père,
encore qu’il fût l’authentique Martin
Guerre.
Mais l’authenticité n’est
nullement négligeable, attendu que “Le mensonge a cent mille figures et la
vérité n’en a qu’une.” (Jean de Coras)
Si Arnaud avait eu gain de cause
au procès, lui et Bertrande auraient vécu toute leur vie dans le mensonge et le
péché; un péché qu’elle n’eût pu jamais
confesser, sans avoir trahi celui qui vivait à ses côtés. Avec le vrai Martin, elle a une chance de salut.
Arnaud du Tilh fut condamné à la
pendaison et au bûcher en septembre,
1560.
Mais le cinéaste ajoute encore un
détail puisé à la vie du magistrat Jean de Coras. Nous savons déjà de l’historienne
Nicole Lemaître qu’il sympathisait avec les protestants. En cette qualité,
c’est bien probable qu’il a été l’un des instigateurs des troubles de 1562, une
tentative calviniste de s’emparer de la ville de Toulouse, dont les habitants
étaient pourtant catholiques pour la plupart. Comme la tentative échoua, notre
homme s’exila un temps à La Rochelle, au Poitou, mais retourna fort
imprudemment à Toulouse où il fut fait prisonnier et condamné à la pendaison en
1572, toujours en septembre, un mois après la nuit de la Saint-Barthélemy.
Et maintenant, cher lecteur, “à
nous deux”, quel est le vrai Dieu, celui de La Rochelle
ou celui de Toulouse et de Paris?
Parce que tu sais que “Le mensonge a cent mille figures et
la vérité n’en a qu’une.”
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