Comment faire
un très bon film
Il faut d’abord en puiser le
sujet à la vie réelle. Ce sujet doit être vrai et pas absolument
vraisemblable. L’inhabituel, le choquant accroissent l’émotion. Le film Intouchables
(Ciumaţii en roumain), sorti en salle le 2 novembre
2011, écrit et réalisé par Olivier Nakache et Eric Tolédano, est inspiré d’un
fait réel.
A la base du scénario se retrouve
l’histoire de la vie de Philippe Pozzo di Borgo, décrite dans ses livres Le
Second Souffle et Le Diable gardien.
Philippe Pozzo di Borgo est un
homme d’affaires français, d’origine corse, fils du cinquième duc Pozzo di
Borgo. L’hộtel particulier de la famille di Borgo, dont on fait état dans le
film, existe bien, rue de l’Université, à Paris.
Une partie de cet hộtel a longtemps été louée par le célèbre couturier Karl
Lagerfeld.
En 1993, Philippe Pozzo,
passionné de sports extrêmes, devient tétraplégique à la suite d’un accident de
parapente. La mort de sa femme, trois ans après, le fait flipper. De cette
déprime totale le sort son auxiliaire de vie, d’origine algérienne, Abdel
Yasmin Sellou. L’histoire de la cohabitation de ces “deux gars en marge de la
société qui s’appuie l’un sur l’autre” est décrite à travers les deux livres
cités ci-dessus.
Abdel Sellou est devenu chef
d’entreprise, s’est marié et a trois enfants. Il ne peint pas comme Driss (Omar
Sy), son correspondant du film, mais a écrit un livre – Tu as changé ma vie.
Philippe Pozzo s’est remarié, a deux enfants et vit la plupart du temps au
Maroc.
Olivier Nakache et Eric Tolédano
ne sont pas à leur première aventure commune. Ils ont déjà signié ensemble
trois longs métrages: Je préfère qu’on reste amis (2005), Nos
jours heureux (2006) et Tellement proches (2009).
Leur dernier film, Intouchables,
a fait recette: plus de 15 millions d’entrées. En France, le film est arrivé en tête
du box-office. Intouchables est vendu dans 40 pays, y compris aux Etats-Unis
où les frères Weinstein ont commencé à le distribuer dès le printemps 2012,
tout en ayant posé une option pour un possible remake.
Intouchables a eu trois
nominations aux Césars 2012, pour le meilleur réalisateur, le meilleur scénario
et le meilleur film français de l’année. Il a emporté le Globe de cristal (un
prix de la presse française) pour le meilleur film et le meilleur acteur – Omar
Sy, qui “fait main basse sur le film” (François Guillaume Lorrain). Ajoutons
aussi le Grand Prix au Festival international du film de Tokyo.
Qu’est-ce qui fait de ce film
“une réussite totale”, comme fait valoir Eric Libiot, le critique de
“L’Express”?
Je crois que c’est d’abord le
choix très inspiré des acteurs – François Cluzet, dans le rộle de Philippe, et
Omar Sy, dans celui de l’assistant à domicile. Il y a après la part accordée à
la spontanéité, à l’intuition et à la sympathie réciproque, fondée sur la
patience et sur la générosité. Troisièmement, il y a l’amitié, une vraie et
durable, qu’ on reconnaît ne vivre que rarement. Quatrièmement, c’est quelque
chose d’assez commun aux films français: c’est l’optimisme qui s’en dégage,
c’est l’espoir; et ça donne la pêche. Last but not least, c’est le rire –
facile et généreux: eh bien, on s’esclaffe! On s’y abandonne.
Et, François Guillaume Lorrain de
conclure:
“On y retrouve tous les
ingrédients des grands succès de la comédie française: un tandem improbable, la
rencontre des extrêmes, une générosité réciproque, un message optimiste, un
mélange de rire et d’émotion.”
L’intrigue en est simple:
Philippe est paralysé après un accident de parapente. Le personnage du film
n’est pas tétraplégique: c’est une erreur que font la plupart des critiques.
Tétraplégique est le personnage du livre Le Second Souffle, qui n’a que les
quatre membres paralysés: s’étant remarié par la suite, il a eu deux enfants.
Quant à Philippe du film (François Cluzet), celui-ci avoue ne rien sentir “de
la base du cou jusqu’à la pointe de mes orteils.” Son seul organe du plaisir –
les oreilles. Le film crée les cadres du désespoir justement pour offrir après
des raisons pour en guérir, car “si boire est plus important que manger, donner
confiance est plus important que boire. Si la soif tue plus vite que la faim,
le désespoir gagne encore en rapidité sur la soif “ – notait Alain Bombard dans
des circonstances tout à fait différentes et des années auparavant.
Seul et immobilisé, Philippe vit
dans son hôtel, entouré de ses employés.
Il cherche un aide à domicile qui l’épaule et, par courrier, une femme qui
l’aime. C’est vrai, il a de la galette, mais il n’a pas d’amour ni de vrais
amis. Mais Philippe sourit tendrement et continue de chercher. Et, lorsque
Driss se présente, ce jeune Noir de banlieue qui montre des dents de diamant et
crève de vitalité, il semble reconnaître en lui quelqu’un qui puisse faire
bouger les choses dans cette triste demeure paralysée par les conventions, qui
puisse y apporter un brin de spontanéité, de vivacité et – pourquoi pas? -
d’impulsivité. Sa demeure était comme un corps inerte qui faillait perdre sa
dernière goutte de sang.
Mais Driss se présente. Non, il
ne veut pas passer l’interview d’embauche. Il ne veut qu’une signature au bas
de sa feuille “pour les ASSEDIC”, attendu qu’il est “ alternativement abonné à
la prison et au chômage.”(Jacques
Mandelbaum) Le Noir ne veut que s’en
aller. Mais Philippe sent le besoin de le retenir et de l’éduquer un peu:
“Berlioz n’est pas un quartier.”
“Tu ne veux pas travailler. (…)
Tu devrais avoir un petit problème de conscience.”
“Je ne peux signer sur-le-champ.”
Et il fait ce que font tous ceux qui commencent à avoir de la sympathie pour l'autre: il essaye de gagner du temps, en remettant l’affaire pour le
lendemain, à neuf heures.
Le lendemain, il n’est évidemment
pas question de signer des papiers. On fait carrément savoir à Driss qu’il est
embauché pour une période d’épreuve de deux semaines. On lui présente son
appartement qui comporte une somptueuse et éblouissante salle de bains. Driss
reste ébahi. A la maison, sa tante,qui avait beaucoup d’enfants, l’avait chassé
pour servir de mauvais exemple aux gamins, lui, qui venait de quitter la taule.
Driss est épaté, mais se contient et demande “une journée pour réfléchir”.
C’est ainsi qu’il commence son
boulot. On lui apprend à être “méticuleux, rigoureux”, on lui fait savoir le rôle des bas et des…gants. Driss se mutine:
mettre des bas au paralytique,il accepte, bien que ça“lui coûte”, mais se servir de gants pour essuyer le
cul de qui que ce soit, non, jamais. Il a “sa dignité”. Mais, peu à peu, Driss
comprend qu’il doit être avec le malade comme cul et chemise.
Et leur relation va bien. Le Blanc éduque le
Noir: “L’art, c’est la seule trace de notre passage sur terre”. Et le Noir
comprend plus qu’on ne lui dit. Il n’est pas d’accord que Philippe paye plus de
40.000 euros pour un tableau représentant une tache rouge sur fond blanc.
Encore, l’image est-elle violente et émouvante à la fois. D’accord, mais 40.000
euros, c’est trop. Driss est spontané (“ Qu’est-ce que tu fabriques encore?”)
et plein d’idées. C’est à ce moment-là
qu’il décide de se prendre à la peinture. Ce qui en résulte, c’est un tableau
qui lui procurera 11.000 euros! – une belle somme. L’acheteur est justement le
juriste de Philippe qui n’avait aucunement de sympathie pour Driss, étant donné
le casier judiciaire de celui-ci, mais il s’émerveille devant le tableau – “Il
a du style, de la patte!” – tout en ignorant la personne du peintre, dont on
lui dit qu’il venait d’exposer à Londres. C’est une bonne affaire. Ajoutons
aussi qu’après la séparation de Philippe, Driss saura reconnaître un Dali.
La soirée passée à l’Opéra est
mémorable et à se tordre de rire. La mise en scène est tout à fait excentrique.
Sur les planches apparaît un personnage – comment dirais-je? – très feuillu, qui commence à chanter. Driss
éclate de rire et a des difficultés à y reconnaître “un homme”, “un homme qui
chante”, “un Allemand”. C’est vrai, c’était du Wagner… Il ne comprend pas
pourquoi ses voisins s’en prennent à lui et leur réplique, l’air fâché: “Quoi
“chut” toi?!”
Qu’est-ce qui apprend Philippe de
Driss?
Ô,
bien des choses et surtout le côté vrai,
surprenant et goguenard de la vie. Ce film célèbre le mariage de “la vieille France
paralysée sur ses privilèges et la force vitale de la jeunesse issue de
l’immigration”, conclut Jacques Mandelbaum, le critique du “Monde”.
Et François Guillaume Lorrain
d’expliquer:
“…les pieds dans les plats et les
basquets sur les couvertures en soie, Omar Sy déboule cash, sans pitié, avec
son vécu de la cité. Là où il n’y a que tristesse, convention et immobilité, il
met un peu de folie, de naturel, de mouvement.”
A un niveau allégorique, l’hôtel de Philippe peut être lu comme le symbole
d’un monde fermé, élitiste, figé, sclérosé, qui manque de sang, de vitalité et
d’avenir. Un monde qui ne peut plus évoluer. Au milieu de ce monde, Philippe a
la sagesse d’inviter Driss à y semer sa semence et à faire continuer la vie.
Qu’est-ce qui apprend Philippe de
Driss?
Il apprend de Driss l’essence de
l’humour – la cruauté. On est cruel quand on fait des gorges chaudes de quelqu’un.
Juste après le moment où Philippe fait valoir que “l’art, c’est la seule
trace…” blablabla… Driss lui fait remarquer, tout en mangeant du chocolat, que
“pas de bras, pas de chocolat”.
Mais c’est Driss qui aide
Philippe à recommencer à aimer. Ce dernier entretenait une correspondance avec
une femme qui s’appelait Eléonore (comme moi). Il lui envoyait depuis six mois
des poèmes, sans oser lui téléphoner. C’est Driss qui compose le numéro
d’Eléonore et le force à lui parler. Il est révolté: “Six mois de poésie. Elle
se fout de la poésie. Elle cherche l’oseille, la sécurité.”
On décide de lui envoyer une
photo de Philippe, qui le présente “assez bien”, mais immobilisé dans son
fauteuil. Philippe n’ose pas la lui envoyer et en choisit une autre.
Finalement, il prend rendez-vous avec elle et y va accompagné par Yvonne, une
employée de l’hôtel, mais, trop stressé,
il renonce à attendre la femme.
Quant à Driss, il décide de
changer de cap. Il quitte Philippe. Celui-ci lui offre un album qui ne comporte
qu’une photo à son image imobilisée dans le fauteuil. Driss envoie la photo à
Eléonore tout en prenant un rendez-vous au nom de Philippe. Il rend visite à ce
dernier et l’invite au restaurent où Eléonore va faire son apparition. Philippe
est stressé, choqué, mais, finalement, pleure de joie.
.Tout le monde a élogié la
prestation d’Omar Sy dans le rôle de
Driss, mais regardez bien François Cluzet: discret, il s’exprime par son
sourire indulgent, par son regard tendre, par ses lèvres craintives. Tout ce
qui lui est resté est concentré dans les yeux.
Finalement, le rendez-vous a
lieu.
L’amour s’oppose à la mort. C’est une preuve
que le cœur peut encore rebondir, renaître, qu’il n’est pas encore entré en
hiver.
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