C’est son quatrième film présent en compétition à Cannes
après Pulp Fiction – Palme d’Or en
1994 -, Boulevard de la mort (2007)
et Inglourious Basterds (2009, prix
d’interprétation masculine pour Christoph Waltz) et c’est pour la deuxième
fois, après le même Inglourious...,
que Tarantino se lance dans l’écriture d’une histoire alternative. Sa nature
nerveuse, espiègle et extravagante le rend mécontent des issues historiques.
Aussi fait-il la nique à l’histoire pour en changer le
cours.
Il était une fois...
à Hollywood, c’est sa deuxième uchronie, pour employer ce terme créé par le
philosophe Charles Renouvier (1815-1903), sur le modèle du mot utopie, inventé par Thomas Morus en 1516,
à l’aide de ce préfixe négatif u.
Renouvier remplace topos (lieu) par chronos (temps) et c’est ainsi que naît l’uchronie, une histoire qui ne se
retrouve pas dans l’ordre chronologique des événements. C’est une histoire inventée,
mais il faut absolument qu’elle trouve son point de départ dans une situation
historique identifiée comme réelle, mais dont on modifie le déroulement,
l’issue et les conséquences. Le dénouement
inventé et ludique est très fécond et, souvent, réconfortant pour
l’esprit, stimulant le sens de l’histoire. Et on voit Tarantino prendre des
notes, se documenter, mettre en place ces notes et, mécontent, démonter tout
cet agencement pour le transformer et le faire revivre dans le septième
univers.
C’est ainsi que nous sommes portés en 1969, à Hollywood,
où nous faisons la connaissance de Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), acteur de
séries télé, et sa doublure, le cascadeur Cliff Booth ( Brad Pitt – l’Oscar et
le Golden Globe du meilleur second rôle masculin) qui met beaucoup de charme et
de talent dans son humble travail de plus en plus méconnu, mais qui ne s’en
plaint jamais. C’est qu’il supporte et affronte avec courage le monde, là où
ceci ne peut lui offrir que ses limites et sa médiocrité.
L’action du film commence en février 1969, quand l’acteur
Rick Dalton (personnage fictif) – ancienne star d’une série télévisée, Le Chasseur de primes, reçoit de la part
d’un agent artistique, Marvin Schwarz, (Al Pacino – très bon, plein de grâce et
mémorable dans un rôle fugitif) la proposition d’aller en Italie tourner des
westerns spaghettis pour pouvoir changer de cap, mettre fin à une carrière un
peu trop prévisible et se donner un nouveau départ dans la vie. Mais Rick
Dalton est prétentieux. Nous sommes en présence du personnage principal d’une
comédie, surpris dans un moment ingrat de sa vie. Il est intelligent. Il
comprend très bien que sa carrière est sur le déclin et qu’il n’a d’autre issue
que d’accepter la proposition de Monsieur Schwarz, mais il n’aime pas les
westerns spaghettis, trop mimétiques et dépourvus de psychologie et il commence
à ne plus aimer ce qu’il fait... Il entend très bien que non seulement lui est
sur le déclin, il en va de même pour le goût public, le mimétisme fait rage, le
monde du cinéma se trouve à un carrefour... Et, comme il a le sens du ridicule,
il évite de devenir pathétique. Et alors il boit. Il boit ferme. Il boit pour
pouvoir accepter sa vie, pour pouvoir oublier qu’il pourrait très bien jouer
d’autres types de rôle mais que les spectateurs et surtout les producteurs se
sont habitués à le voir seulement en chasseur de primes... C’est l’un des rôles
les plus difficiles de Leonardo DiCaprio qu’il mène très bien à terme. C’est le
tragique dans le comique et DiCaprio sait très bien garder la ligne de
flottaison, sans immerger, sans trop émerger... Il est parfait.
Finalement, notre héros accepte la proposition de
Schwarz. Mais le départ pour l’Italie aura lieu en été et nous avons
suffisamment de temps pour explorer leur milieu de vie. Rick habite une belle
villa avec piscine en Beverly Hills et il apprend avec transport qu’il est le
voisin de Roman Polansky qui vient d’acheter la demeure du 10 050 Ciélo Drive
au producteur de disques Terry Melcher, qui, à son tour, la tenait du comédien
Cary Grant! Quel voisinage! Rick se sent ranimer.
Cliff partage une caravane avec sa chienne Brandy, à
proximité d’un drive-in, pour être tout le temps près du cinéma. Il a fait la
guerre au Viêt-nam et, de retour dans son pays, il n’a plus de femme, plus de
maison, plus d’avenir... Le monde a changé et ce monde nouveau ne reconnaît
plus ses héros et n’a que faire de Cliff. Ce dernier n’a plus que sa chienne,
Brandy, qui l’aime et le comprend. Clélia Cohen, la critique de Libération, parle de <<leurs
solitudes parallèles>>, celle de Cliff et celle de Rick, et du
<<monde finissant qu’ils incarnent>>, où l’un n’a pour se consoler
que sa chienne et l’autre, sa piscine et sa margarita.
Mais ce film, attention, il faut le regarder – comment
dirais-je? – entre les lignes pour ne rien perdre, pour arriver finalement à
<<rompre l’os et sucer la substantifique moelle>>. Car ce monde
finissant rappelle le nôtre, également mimétique, manipulateur et manipulé, qui
nous impose sa grisaille et sa monotonie. On n’a qu’à s’y adapter, qu’à le
vivre... C’est ce que font les deux héros, tandis que le réalisateur,
Tarantino, a déjà annoncé que c’était son avant-dernier film et qu’il tirerait
sa révérence...
Le film comporte deux parties:
1 L’aventure américaine d’avant l’Italie et
2 L’aventure américaine d’après l’Italie
L’Italie est un intermezzo, un moment de passage,
justement pour donner aux jeunes hippies, jonchés partout dans ce film, la
possibilité de mûrir, de mieux acquérir leur contour manipulé et manipulateur.
Cliff fait leur connaissance avant de partir pour l’Italie et ce sont eux qui
le regagnent après l’Italie. Toutes les fois leur rendez-vous est explosif. Ils
essayent d’imposer leurs règles à Cliff et celui-ci ne l’accepte pas. C’est
l’individu face à une société qui ne réussit pas à le faire obéir.
L’Aventure américaine d’avant
l’Italie
C’est la partie du film la plus descriptive, très proche de
la réalité, un peu ennuyeuse donc, justement parce qu’elle veut nous porter
dans l’atmosphère des années ’60.
Ainsi voit-on Rick Dalton – personnage fictif – jouer le
premier rôle dans l’épisode pilote d’une série western, Lancer, réellement produite de 1968 à 1970 par CBS. Mais Rick
n’oublie pas son ami, le cascadeur, et prie Randy, le producteur, d’embaucher
Cliff, vu qu’il a besoin de ses services. Randy hésite pensant toujours que
Cliff avait tué sa femme sur mer, lors d’une querelle, sans avoir payé pour ce
meurtre, que beaucoup de personnes tenaient pour vrai, sans pouvoir le prouver.
Finalement il accepte <<l’énergie que Booth apporte sur le
plateau>> encore qu’il ne l’aime pas. Mais Cliff a la guigne. Et là c’est
un bon moment pour Tarantino de rejoindre la vie réelle et d’évoquer un épisode
cher aux cinéphiles qui s’y connaissent: sur le tournage de la série Le Frelon vert, en 1966, Bruce Lee a eu
un discours arrogant qui a vraiment piqué un cascadeur à trois poils, Gene
LeBell, qui a mis Lee sur le dos en un tour de main.
Rassurons-nous! Gene LeBell non plus n’a pas tué sa
femme. Et puis, il faut le dire, personne de ce film n’a tué sa femme.
Mais vous rappelez-vous La Fureur du Dragon de 1972, avec Bruce Lee et Chuck Norris?
Et bien, quand
j’ai vu Cliff/Brad Pitt affronter Bruce Lee, c’est à Chuck Norris et à la scène
du Colisée que j’ai pensé premièrement, attendu que Chuck est lui aussi
charmant, il a fait son service militaire en Corée du Sud et, de retour aux
États-Unis, il a ouvert une école de karaté fréquentée par nombre de célébrités,
dont l’une est présente dans ce film aussi – Steve McQueen.
C’est au manoir
Playboy, acheté en 1971 par Hugh Hefner, le fondateur du magazine
<<Playboy>> que Tarantino réunit et fait danser Roman Polanski, sa
femme, Sharon Tate, le coiffeur Jay Sebring, son ancien amant, l’acteur Steve
McQueen et d’autres. Tarantino s’intéresse plutôt aux médisances sur le compte
de Polanski qu’au charme dionysiaque de ce manoir abritant, à part la piscine,
un mini-zoo, une grotte, un orgue, une cave à vin, plusieurs courts de tennis
et qui a vu des fêtes extravagantes et somptueuses très appréciées par Peter
O’Toole, Elvis Presley, John Lennon, Leonardo DiCaprio (voilà!), Alec Baldwin,
Joaquin Phoenix.
Mais revenons à notre héros, Rick Dalton/Leo DiCaprio,
qui a vraiment du pain sur la planche! Il est Caleb de Coteau dans le western Lancer, où il croise Trudi Fraser, une petite fille de 8 ans, qui
devient sa partenaire. En la voyant, tout le monde a pensé à la jeune Jodie
Foster qui, dès l’âge de 7 ans, tenait des rôles dans des séries western, comme
Bonanza.
Pendant les pauses, lui et Trudi, qui est, naturellement,
précoce, papotent. Il lui parle d’un personnage du roman qu’il lit, Tom Breezi,
qui apprivoisait des chevaux sauvages, mais qui fait une chute et, après
l’accident, ne peut plus monter à cheval. Sa carrière est coupée. Il devient
inutile et Rick se voit dans le destin du personnage: il n’a pas souffert
d’accident, mais il est possible que l’industrie du film n’ait plus besoin de
ses services... Il est inquiet.
Mais son ami, Cliff, n’a pas de souci. Il répare
l’antenne de télévision de la villa de Rick et, comme il est perché sur le toit,
guette la propriété des époux Polanski, les voisins de Dalton. Roman n’est pas
à la maison, Sharon est avec Jay, mais le paysage est troublé par l’apparition
d’un personnage un peu bizarre, le visage encadré par une tignasse désordonnée
et au regard déconcerté.
Mais qui est-il et qui cherchait-il?
Il est le fameux Charlie Manson, l’enfant illégitime de
Kathleen Madox qui n’avait que 16 ans lorsqu’elle a accouché. Il fut voleur,
proxénète pour devenir finalement le gourou d’un groupe de hippies, qu’il a
baptisé La Famille qu’il n’avait
jamais eue. L’intelligence et le talent
ne lui faisaient pas défaut, mais l’éducation lui manquait totalement vu que
personne ne s’en était occupé. Mais parmi ses jeunes hippies, il se sentait
Dieu sur terre. En prison il avait appris à jouer de la guitare. Et il compose.
Dans le film, les jeunes hippies, – parmi lesquelles Pussycat, la fille de
Cliff – qui ramassaient des aliments dans les poubelles de Los Angeles,
chantaient des mélodies composées par Charlie. Dans la grise réalité, au procès
qui a suivi aux meurtres de l’été 1969, les filles de Charlie, accusées de
crimes affreux venaient en chantant les mélodies de leur gourou et en feignant
l’innocence...
Il cherchait le producteur de disques Terry Melcher qui
l’avait auditionné, mais qui, finalement, a refusé d’enregistrer ses
compositions. Manson comptait toujours le faire se raviser. Heureusement,
Melcher avait déménagé et, au 10 050 Ciélo Drive de Beverly Hills, Charlie ne
trouve que la belle moitié de Roman Polanski qu’il dévisage sans lui en vouloir
aucunement. Et il s’en va <<Au vent mauvais/ Qui l’emporte/ Deça, delà/ Pareil à la/Feuille morte.>>
Le film rejoint la réalité au moment où les filles de
Charlie chantant, après avoir ramassé des vivres suffisamment comestibles dans
les poubelles, se préparaient à les nettoyer un peu à la rivière qui arrose la
ville avant de se rendre à l’océan:
Piller
les poubelles était devenu une manière de survivre pour la Famille. Les
supermarchés de Los Angeles jettent tous les jours de la nourriture
parfaitement comestible, des légumes frais, des cartons d’œufs, des paquets de
fromage qui ont dépassé une certaine date. Nous, les filles, étions chargées de
fouiller dans leurs poubelles, de prendre la nourriture (...), de la nettoyer,
d’enlever les morceaux abîmés ou pourris...
C’est ce que dit Susan Atkins, la fameuse criminelle,
citée dans le livre The Garbage People
(1971), écrit par John Gilmore et Ron Kenner, Susan, l’ancienne amante d’Anton
LaVey – l’auteur de la Bible satanique, fondateur en 1966 de l’Église de Satan
et personnage dans le film Un bébé pour
Rosemary de Roman Polanski. Susan a, elle aussi, décroché un tout petit
rôle dans le film de Polanski Le Bal des
Vampires, où elle a joué à côté de
Sharon Tate qui y était Sarah, la belle fille des aubergistes, dont
tombe amoureux Alfred, l’assistant du professeur Abronsius, interprété
justement par Roman Polanski! Que voulez-vous? <<À force de parler
d’amour, on devient amoureux>>!
Cliff débarque au
Spahn ranch et fait la connaissance de La
Famille
Après avoir nettoyé les vivres ramassés dans les poubelles,
les filles regagnent le Spahn ranch. Cette ferme, qui a servi de décor à
quelques épisodes de la série Bonanza,
est située en plein désert, à une cinquantaine de kilomètres de Los Angeles, et
a appartenu au fermier George Spahn, qui élevait des chevaux et qui louait la
ferme aux réalisateurs de westerns. Dans le film il est présenté comme ayant
été lui-même réalisateur.
Cliff, qui est amouraché de Pussycat (Margaret Qualley),
la ramène au ranch. Ici, c’est un monde dans le monde qu’il découvre, avec ses
propres lois, qui n’a pas les mêmes racines que notre société rigoureusement
organisée, mais qui ne semble pas, hélas, pour autant, être plus honnête; seulement plus sale. Cliff ne
se laisse pas envoûter. Bien au contraire, il devient ombrageux. Il soupçonne
les hippies d’avoir profité de la bonté et de la sénilité de Spahn, qui a plus
de 70 ans et est aveugle. Il a accepté de loger Charlie et sa Famille en échange de quelques faveurs
sexuelles de la part des filles. Le gourou a chargé Lynette Fromme (Dakota
Fanning, qui voulait depuis longtemps travailler avec Tarantino), baptisée
Squeaky, de s’en occuper. Et elle s’en occupe. <<Squeaky m’aime>>,
apprécie George.
Mais pourquoi les faire changer de nom?
Charlie faisait son pouvoir pour anéantir leur passé,
leur identité, leur personnalité. Dans ce groupe farouchement uniformisé, ils
ne sont que des marionnettes auxquelles on peut demander n’importe quoi. À la
ferme, ils ne sont plus personne. La misère et le manque d’avenir les
uniformisent et alors c’est bien simple que Susan Atkins devienne Sadie,
Charles Watson, Tex et Lynette Fromme, Squeaky. Ce sont des noms jetés au
hasard et leurs porteurs vivent au jour le jour. Sont-ils libres?
Non, pas du tout. Ils sont affreusement manipulés.
D’abord, Cliff, qui avait filmé au ranch, s’est intéressé
à George qui dormait à ce moment-là. Il dormait le jour pour pouvoir dans la
soirée regarder une série avec Squeaky, dont il ne voyait rien, étant aveugle,
mais c’était sa manière de passer du temps avec elle, c’était comme le prélude
d’une partie de sexe. Cliff le réveille pour l’interroger sur sa vie présente.
Il ne peut pas échapper à l’impression que les hippies vivent aux dépens de
George. Il est méfiant et les hippies se sentent vexer. C’est qu’ils tolèrent
très mal la méfiance. Et ils se vengent: Un certain Clem pique un pneu de la
voiture de Cliff. Si Cliff avait été des leurs, il aurait accepté en riant
cette mauvaise blague. Mais Cliff n’est pas des leurs et il ne veut aucunement
l’être. Il reste un individu, quelque cher que cela puisse lui coûter. Il est
très mécontent de l’état de la voiture qui n’est pas la sienne, mais l’élégante
Cadillac de Rick, et les deux hommes se préparent à en découdre. Cliff casse la
figure à Clem, lui demande fermement de changer la roue et puis s’en va. Mais
avant l’épisode de la bataille, il a une toute petite conversation, très
intéressante, avec Pussycat (personnage inventé). Elle l’accuse de ne rien
comprendre à leur monde et en général. Elle dit:
<<George n’est pas aveugle. C’est toi l’aveugle!>>
Phrase exceptionnelle, il faut en convenir! Une phrase
accusatrice, la quintessance de la manipulation! Donc n’est pas aveugle celui
qui est aveugle au sens propre et figuré du terme, puisqu’il ne voit rien et se
laisse duper. Les aveugles sont ceux qui s’entêtent à ne pas accepter ce qu’on
leur demande et on leur impose de voir et d’accepter. C’est un monde à l’envers
qui ne peut pas durer. Quelque part il va crever, comme un pneu... pour avoir
trop roulé et parsemé son odeur fétide. Le menteur ne va pas loin!
Mais les hippies vont évoluer...!
Intermezzo
Les deux amis partent pour l’Italie changer de cap et
redonner du souffle à leur carrière et à leur vie. Ici, Rick Dalton travaille,
parmi autres, avec Sergio Corbucci dans le film (inventé) Nebraska Jim. Il fait quatre films au complet, gagne beaucoup et
gaspille presque tout ce qu’il gagne, mais c’est en Italie qu’il trouve sa
moitié: Francesca. Auréolé de cette conquette, il regagne l’Amérique pour vivre
l’aventure de sa vie qui prouvera bien que la vie de tous les jours peut
parfois l’emporter sur le film...
Chez Gary Hinman
Dans la nuit du 8 au 9 août 1969, Sharon Tate, enceinte
de 8 mois et demi, et ses hôtes -
Abigail Folger, la fille de Peter Folger, le Président de Folger Coffee
Co, le fiancé d’Abigail, Voytek Frykovski, un scénariste polonais, ami de Roman
Polanski, et Jay Sebring, le coiffeur des stars, furent massacrés par quatre
membres de la bande de Charles Manson. C’est le dénouement de l’histoire réelle
dont parle ce film et qui sera réécrit. Parmi les invités figurait également
Ennio Morricone (1928-2020), qui dut son unique Oscar de la meilleure musique
d’un film à Quentin Tarantino, en 2015, pour Les huit Salopards. Heureusement, il n’avait pu participer à cette
fête qui a fini par un carnage.
Mais pourquoi ce carnage? Qu’est-ce qui le justifie?
<<Plus on lit des choses, plus on se rend compte
que cette histoire est obscure>>, commente Tarantino. Il est difficile de
tirer les choses au clair et pourtant il existe des événements et des arguments
qui se tiennent.
Gary Hinman est un musicien et un homme généreux. Il a
bon cœur, par-dessus tout. Il est polyinstrumentiste, professeur de musique et
bouddhiste qui avait ramassé de l’argent pour pouvoir se payer un voyage au
Japon, qu’il a projeté justement pour l’année 1969. De temps en temps, lui,
comme tout le monde, touche à la drogue. En cette qualité de musicien, d’homme
généreux et de consommateur de drogue, il a reçu Charlie et les siens dans sa
maison de Topanga Canyon. Mais Charlie n’est pas le seul artiste de la Famille...
Bobby Beausoleil, véritable chanteur, acteur et
consommateur de marijuana et d’acide, a rencontré Charlie et sa harde dans un
endroit au nom prédestiné – la Vallée de la Mort – où sa voiture était tombée en panne. Ils se sont
vus et se sont plu. Et Bobby les a suivis au ranch. Il connaît bien Gary. C’est ainsi que les trois artistes se
mettent à se fréquenter. Gary écoute Charlie, il arrive même à croire à sa
musique et finit par promettre à Bobby de financer une session d’enregistrement
au gourou. Mais, tout comme dans le cas de Terry Melcher, le gourou ne convainc
pas assez et comme Gary avait besoin d’argent pour aller au Japon il se
rétracte, tandis que Charlie et les siens croyaient pouvoir le convaincre...
Voilà pourquoi le 25 juillet 1969, Bobby Beausoleil, Mary
Brunner, ancienne bibliothécaire de l’Université de Berkeley, et Susan Atkins
débarquent à Topanga Canyon sans nourrir nullement la pensée du meurtre, mais
seulement l’idée de convaincre Gary de changer d’avis. Pour mieux faire, ils se servent d’un
revolver et d’un couteau. En se voyant menacé, Gary accepte de leur donner 150
dollars. La somme n’est pas jugée satisfaisante et les trois agresseurs,
désorientés, appellent le gourou les tirer d’embarras. Charlie arrive et n’aime
pas ce qu’il voit. Il pense ne pouvoir
plaquer simplement la maison, vu que Hinman pouvait se rendre à la police et
les dénoncer. Hinman devait être surveillé tout le temps... et alors il se
prend à le convaincre de joindre la Famille
pour vivre comme un coq en pâte avec les filles... Mais Hinman n’y mord pas. Il
a d’autres projets. Il a sa vie à lui. Il reste un individu, quelque cher que
cela puisse lui coûter... Et il lui coûtera! Charlie perd patience et fait
l’erreur de le couper au visage et de lui trancher l’oreille gauche. Une autre
erreur est commise par cupidité: il force Gary de lui céder les clefs de sa
Fiat. Le gourou n’a pas de sollutions et s’en va, tout en laissant les trois
agresseurs se débrouiller seuls. Sinon il a voulu leur apprendre à devenir
criminels... Gary n’est pas coopératif. Au bout de trois jours, Beausoleil
s’emporte et le poignarde dans la poitrine et dans la tête. Gary saigne, mais
ne veut pas mourir. Ce sont maintenant les filles dont il a refusé les faveurs
sexuelles qui l’aide à... casser sa pipe, en l’étouffant avec un coussin. C’est
ainsi qu’est fini son voyage sur ce monde. Il n’a jamais plus quitté Topanga
Canyon. Sur les murs de sa maison, Beausoleil a écrit avec le sang de Gary
<<Political Piggy>> et a apposé à côté une patte de panthère pour
jeter la suspicion sur les Black Panthers, les membres d’un mouvement
révolutionnaire afro-américain d’inspiration marxiste, constitué en Californie,
en 1966. Il fallait que la suspicion tombât sur eux et non pas sur les hippies
qui prêchaient, hélas, la non-violence...
Pauvre Gary Hinman! Il n’a pas eu les muscles de Cliff
Booth ni de brave chienne! Il est mort pour avoir été trop bon.
C’est leur premier crime qui justifie les autres. Ils
veulent faire croire que les Black Panthers s’attaquent aux blancs et surtout
aux gens aisés.
Alors, le 9 août, Charles Watson, Susan Atkins, Patricia
Krenwinkel et Linda Kasabian s’acheminent vers la maison des époux Polanski et
tuent tous les gens qu’ils y trouvent. Linda Kasabian n’a pas participé aux
meurtres, elle n’a fait que monter la garde. Dans le film elle est la jeune
fille qui déguerpit en auto après avoir prétexté qu’elle avait oublié son
couteau.
Le 10 août, vers une heure du matin, sont charcutés Leno
LaBianca, le propriétaire d’un supermarché, et sa femme Rosemary, à leur maison
de Los Angeles. Les assassins apposent toutes les fois la patte de panthère sur
les murs.
Mais la police ne se laisse pas duper. Peu de jours après
ces meurtres, Bobby Beausoleil est arrêté pour avoir conduit sans permis la
Fiat de Gary Hinman, où les policiers ont trouvé également l’arme du crime: un
couteau Bowie, mexicain! Quel toupet! Et quelle insouciance!
Les choses ne tiennent pas aux champs comme
elles sont ordonnées en chambre
Il y a au-dessus le récit des trois débarquements
meurtriers qui eurent vraiment lieu du 25 juillet au 10 août 1969. Revenons au
film. Quatre jeunes gens – un mec et trois filles – sont envoyés par Charlie
tuer tous les humains qu’ils puissent trouver au 10 050 Cielo Drive de Beverly
Hills.
On dit qu’il avait fait très chaud le 8 août 1969. Le
cinéaste met dans la bouche de Jay Sebring la remarque que << notre ami
polonais apprécie que c’est la journée la plus chaude de l’année.>> Et
Sharon (Margot Robbie) ne tarde pas de répondre:
<<Cela pourrait être vrai, même si c’est lui qui
l’a dit.>>
C’est un peu irrévérencieux, non?
Elle laisse tout le temps l’impression qu’elle ne se
doute pas du génie de son mari. Elle et le coiffeur font semblant d’être tout le
temps complices. Si ce n’est que la malice de Tarantino...
Vers minuit, Charles Watson et les filles arrivent près
de la villa de Polanski, mais ils se trompent sur la demeure et débarquent chez
Rick Dalton qui venait de se préparer une margarita, avant de se laisser
flotter sur sa piscine. Il est évident qu’il éprouve une grande satisfaction
quand, prélassé sur un transat, il flotte sur sa piscine, en écoutant de la
musique aux casques et en buvant de la margarita. C’est l’image du bonheur
flottant au beau milieu d’une piscine! C’est pour cette piscine qu’il a
travaillé et c’est elle qui le récompense de tous les mécontentements, toutes
les craintes et les humiliations qu’il a vécus! Parce qu’il a vraiment bossé!
Aussi est-il fort dérangé quand les quatre avec leur
bagnole font tant de bruit et de fumée devant sa résidence qu’il avait si cher
payée et qu’il pensait vendre si sa situation s’empirait. Les quatre hippies
reconnaissent en lui le héros de la série Le
Chasseur de primes et, dans leur logique distordue et manipulatrice, ils
pensent que c’est la faute à ces films où ils n’ont vu que des crimes qu’ils
sont devenus ce qu’ils sont maintenant et qu’il serait très bon d’aller
charcuter ceux qui ne leur avaient appris qu’à tuer!
<<La société actuelle déresponsabilise totalement
les gens>>, commente Tarantino et se prépare à donner la réplique à cette
société.
Rick et sa femme étaient très facile à charcuter, comme
des cochons. Heureusement, dans la maison de Rick se trouve ce soir, après une
fête au restaurant, Cliff. Celui-ci sort promener sa chienne. De retour à la
maison, Brandy la Brave sent l’approche des criminels, mais attend la commande
de son maître pour entrer en action. Cliff identifie les jeunes hippies. Brandy
attaque Watson, le plus dangereux, et le fait sortir du jeu. La plus agressive,
Susan Atkins, se précipite sur lui, mais Cliff qui avait la boîte de conserve
pour chien en main la lui jette en pleine figure. Blessée à la tête, Atkins est
attaquée par la chienne qui la mord au visage et le sang l’aveugle. Elle était
déjà aveuglée par sa cruauté et la manipulation exercée par son gourou.
Maintenant, elle l’est encore une fois par son propre sang qui a jailli
abondamment de son propre corps là où elle espérait le faire jaillir des autres.
Tel est pris qui croyait prendre.
Cela arrive...
Mais Krenwinkel
continue le combat et poignarde Cliff à la jambe. Il a juste la force de lui
fracasser la tête contre les murs et s’évanouit.
Que voulez-vous? On ne peut guérir le mal que par le mal.
C’est l’idée centrale de la catharsis. Aussi tout pharmakon est-il poison autant que remède. La fin du film nous
donne de la satisfaction, attendu que nous éprouvons du soulagement et du
plaisir, là où nous nous préparions à ne ressentir que de l’effroi et de la
pitié.
Bien qu’aveuglée par son propre sang et par la fureur,
Atkins ne rend pas les armes. Son instinct criminel la conduit, le revolver à
la main, dans la piscine où elle flaire la présence d’une potentielle victime,
Rick, qui n’a aucune idée de ce qui se passe dans sa maison, vu qu’il écoute de
la musique, les casques sur les oreilles. Ce moment est énormément comique.
Rick est fichtrement dérangé par la présence de cette folle qui crie à
tue-tête, en tirant des coups de feu aux quatre vents. Mais il s’en remet et se
rappelle qu’il garde encore dans le dépôt un lance-flammes, utilisé sur le
tournage d’un film où il brûlait des nazis. Et il s’en sert encore une fois
pour brûler Atkins et échapper à ses grognements affreux avant qu’elle ne
réussisse à écrire sur un mur, avec du sang, <<Pig>>.
À la satisfaction du cinéphile répond le bonheur du héros
qui apprend de la bouche de Jay Sebring qu’il est un fan de la série Le Chasseur de primes.
Qui plus est, la Compagnie Red Apple qui fut fondée en 1862 embauche le comédien Rick Dalton
pour faire la réclame aux cigarettes Red
Apple, que Jake Cahill, le chasseur de primes, fumait. Enfin, Rick est
toujours mécontent, s’énerve, mais... la
nave va...
Et vogue le navire,
mais seulement grâce à un homme qui a
essayé de rester un individu et un bon ami, quelque cher que cela pût lui coûter.
(Acest articol a apărut
pe platforma www.mondesfrancophones.com,
în data de 14 aprilie 2021)
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